Le municipalisme à l’aube d’un nouveau cycle
Brais Gracía Fernández, membre de Marea Atlántica
Historiquement, le municipalisme a représenté l’exercice de la radicalité démocratique pseudonyme d’autogestion et de justice sociale. Aujourd’hui, c’est également une des traductions les plus cohérentes du nouveau cycle politique ouvert par le 15M. L’éveil indigné a apporté un changement de paradigme, fondé sur la démocratie directe, qui a affaibli l’imaginaire représentatif, et a constitué à la fois une contestation du système et une leçon indispensable pour les gauches. De nouveaux sens partagés se sont érigés ainsi qu’une identité inclusive et émancipatrice qui détermine notre présent. Stop Desahucios (Stop Exclusions), les Marées sectorielles pour l’éducation ou la Santé, les Marches de la Dignité et l’apparition de Podemos furent certaines des expressions de ce nouveau paradigme. Et, le municipalisme constitue probablement, le meilleur résultat possible d’un équilibre hybride de cette pluralité. Nous avons construit nos propres outils, de matériaux et formes diverses, décentralisés et hétérogènes en interne, afin de créer des artéfacts politiques avec une vocation de mouvement et avec une aspiration de majorités qui en un an seulement après leur mise en marche sont parvenus à une victoire électorale inédite de La Corogne à Barcelone, de Saragosse à Cadiz en passant par Madrid, Badalone ou Saint Jaques de Compostelle.
Face à une crise systémique qui approfondit la régression démocratique et actualise de nouvelles formes d’oppression transversales, le municipalisme est une hypothèse de changement déjà en cours et une opportunité pour élargir les fissures du système. Aujourd’hui, le cycle politique ouvert semble se fermer, le pari de Podemos pour une prise d’assaut rapide du pouvoir a permis de mettre à la retraite le bipartisme mais ce fut un échec et le redéploiement du régime de 78 est chaque fois plus fort et plus autoritaire. Par conséquent, à côté du processus catalan, qui avec toutes ses contradictions constitue une claire brèche ouverte au système, le municipalisme se présente à nous comme un apprentissage fondamental, une tranchée conquise et un ciment du nouveau cycle.
Ce contexte, à côté de la grande diversité du mouvement, exige une approche analytique qui place le municipalisme au centre, expliquant les portées et les tensions comme résultats de notre propre complexité, en signalant les caractéristiques partagées et en formulant les leçons apprises des succès et des erreurs comme des défis d’avenir.
Concernant les candidatures et le mouvement municipaliste, la confluence est la logique constitutive ainsi que la clef déterminante de nos formations. Même avec toutes les difficultés, nous cultivons les rapprochements et nous gérons les distances (Gutierrez Aguilar, 2017) de telle façon que des personnes venant de mouvements sociaux, de la nouvelle et l’ancienne gauche partisane de différents courants idéologiques et de la citoyenneté non organisée, se sont retrouvées dans un projet commun de radicalité démocratique, qui comprenaient que le local n’était pas seulement une échelle mais une opportunité.
L’esprit du 15Mai, fondamental dans le municipalisme, a cristallisé une sorte de tension de mouvement institutionnel de débordement des deux espaces. Sa première expression a été le rôle indispensable de profils autonomes et de leaderships citoyens. Les partis ont apporté des appuis nécessaires, acceptant de se diluer au sein des plateformes et ont produit des confluences attractives avec des structures liquides qui ont innové dans la forme parti, avec des équilibres et des tensions créatives. Dans les meilleurs des cas, il a été possible de laisser de côté la somme et la répartition du gâteau, tandis que dans d’autres cas, de fragiles coalitions ont été créées qui ont fonctionné uniquement en tant que machines électorales plus ou moins efficaces.
Une perspective préfigurative est également essentielle pour nous, qui apporte entité et valeur à chaque étape, en essayant de matérialiser dans le chemin le but auquel on aspire et en questionnant les moyens employés pour avancer. Cette perspective, entraîne un engagement avec le projet plus activiste que militant, qui assaisonné par les soins du groupe humain qui le compose et la facilitation de la participation, a suscité d’importantes avancées dans la façon d’être et de prendre des décisions. Même ainsi, les relations de pouvoir et les positions de privilège et d’inégalité sont encore présentes au quotidien. Essayer de renforcer la créativité organisationnelle passe nécessairement par produire des conditions égalitaires, sortir des styles et des formes hiérarchisés, compétitifs et exclusifs et nous appliquer à la première personne la rupture urgente et nécessaire avec les positions de pouvoir et de subordination qui nous traversent.
L’arrivée dans les gouvernements a supposé une nouvelle situation inexplorée. D’importants transferts de cadres à l’institution ont eu lieu qui ont perdu du terrain dans le mouvement. De plus, les dynamiques de travail et les temps de l’intérieur à côté d’une perte d’objectifs à l’extérieur ont généré des troubles.
On se répète constamment que l’institutionnel n’est pas l’unique espace, ni même le fondamental, mais le quotidien nous contredit et l’on nage à contrecourant pour l’éviter. Tisser des relations saines entre les gouvernements, les plateformes municipalistes et les mouvements sociaux des villes est une tâche complexe encore à développer. Lorsque nous avons étudié ces relations, nous remarquons qu’elles se forgent sur des besoins partagés et que nous avons besoin de favoriser des confiances mutuelles qui placent l’intérêt général comme objectif commun. Des fronts se sont ouverts qui abordés avec des tactiques diverses mais avec une maturité stratégique ont abouti en interdépendances bénéfiques. Les multiples faiblesses des gouvernements, plateformes et mouvements qui neutralisent la monopolisation du conflit, nous obligent à créer des relations avec intelligence et sont souvent à l’origine de conquêtes pour le bien commun.
Enfin, concernant les gouvernements du changement, l’hétérogénéité des candidatures et le manque d’un horizon partagé ont déterminé des gouvernements avec des tendances et des mesures disparates, qui bien que parfois nous limitent ou contredisent, ne cessent de répondre à notre nature. Nous parvenons à l’institution avec la volonté de changer la donne et cette promesse requérante est à la fois un accélérateur et un frein, qui nous rappelle constamment pourquoi et dans quel but nous sommes ici, mais qui suppose également de fortes attentes parfois frustrées.
Cependant, l’ample exécution des programmes électoraux et la mise en fonctionnement de l’institution au service des majorités, sont entrain de se concrétiser en des politiques publiques efficaces et transformatrices. La corruption a été coupée à la racine, la spéculation a été freinée dans plusieurs villes et les dépenses de projets urbanistes mégalomanes sont entrain d’être éliminées pour respecter les besoins des territoires et des corps écartés et subalternes. Les investissements en justice sociale, bien-être et soins ont été augmentés sensiblement, avec l’objectif de s’attaquer aux inégalités avec des perspectives transversales qui ont placé le féminisme au centre. La participation se renforce, élargissant les marges démocratiques et favorisant les logiques de coproduction de politiques publiques, de redistribution de ressources et d’autonomisation. De la même façon, des espaces pour une culture populaire et accessible sont travaillés et se créent. Nous sommes entrain de construire au quotidien des villes plus justes, diverses et généreuses, renforçant un modèle de ville opposé à la logique néolibérale. Toutefois, nous nous sommes dit haut et fort depuis le début, que les limites et les contradictions de l’institution et du pouvoir seraient importantes, et nous ne nous sommes pas trompés. C’est pourquoi, il est essentiel de les avoir en tête, pour ne pas fermer des chemins, relativiser le poids de l’institution et parvenir à élargir les limites du possible, en navigant ces contradictions sans jamais perdre de vue le pourquoi, le but et le pour qui nous existons.
Nous avons besoin de consolider nos projets municipalistes, de répondre aux tendances « institutionnalisatrices » et immobilistes avec des reconfigurations créatives, de mouvements et de majorités. C’est le moment de nous protéger, d’essayer de ne laisser personne sur le chemin et d’être plus conséquents avec nos aspirations émancipatrices. Il nous faut, donner de l’appui matériel aux discours de radicalité, ouvrir de nouveaux fronts et luttes, explorer les possibilités de changements structurels et construire en définitive des villes qui méritent la peine d’être vécues.
Comprendre la transformation comme un continuum sur lequel transiter plus que comme une dichotomie de victoire ou de défaite finale aidera à continuer d’avancer. Il existe des moments d’accélération et de recul, prenons de la perspective sur les progrès effectués pour nous encourager. Les prochaines années seront vitales pour la réponse face au monstre néolibéral et le municipalisme doit être une des bases défensives clefs. Nous devons continuer à apprendre à interagir avec les proches et les éloignés, tissant des réseaux, aspirant à mettre en marche des processus constitutifs et en nous rencontrant avec tous ceux qui poursuivent des objectifs émancipateurs. Sans peur de muter, avec clairvoyance et en étant conscients de la beauté de l’instrument que nous façonnons, nous serons capables d’avancer sur un chemin plus juste face à un avenir meilleur.
Références.
Gutiérrez Aguilar, R. (2017). Horizons communitaire-populaires. Production du commun au-delà des politiques étatocentriques. Madrid : Traficantes de Sueños.
Gutiérrez Aguilar, R. (2017). (2014). Horizontes comunitario-populares. Producción de lo común más allá de las políticas estado-céntricas. Madrid: Traficantes de Sueños.