Penser la conjoncture municipaliste à partir des potentialités de la complexité.
Ernesto García López, membre de M129
Para venir a lo que no sabes, has de ir por donde no sabes. (San Juan de la Cruz)
La realidad no es nada si no puede soñarse. (Diego Jesús Jimenez)
Le mot complexité a bonne presse dans les milieux sociopolitiques actuels. En parler suppose de disposer, presque par art de magie, d’une sorte de capital symbolique qui nous situerait dans ce que nous appelons par euphémisme la « nouvelle politique », bien que nous soyons incapables de définir avec précision en quoi elle consiste et où agit-elle (de façon réelle). Ce qui arrive avec le mot “complexité” est identique avec ce qui arrive avec le mot “solidarité internationale”, tous les gouvernants disent la pratiquer avec délectation et faire d’elle un axe incontournable de leur politique extérieure, mais en réalité, ils s’occupent par la suite à fermer des frontières aux migrants et aux réfugiés, à réduire les budgets de la coopération au développement et à renforcer le rôle de « leurs » entreprises transnationales dans le reste des pays. Les actes valent mieux que les parole.
Le philosophe français Edgar Morin disait que la « complexité » n’est pas synonyme de « complication », et qu’une pensée complexe est indispensable parce que nous sommes noyés sous le « paradigme de la simplicité ». En quoi consiste ce paradigme ? En poursuivant avec les idées de Morin, c’est celui ou celle qui “ou bien sépare ce qui est lié (une disjonction), ou bien unifie ce qui est divers (une réduction) ». A l’inverse, une pensée complexe consisterait à assumer et percevoir le sens du caractère multidimensionnel de toute réalité, qui incorpore l’incertitude comme une nécessité, qui est capable de penser dans des conditions contradictoires, qui pratique le dialogue incessant et qu’assume l’impossibilité d’englober la totalité du réel à l’intérieur du même système logique. Pour essayer de rendre cet objectif palpable continue Morin, il serait bon de faire appel au moins à trois principes. Le premier est nommé « dialogique » c’est-à-dire ce qui « permet de maintenir la dualité au sein de l’unité. Il associe deux termes à la fois complémentaires et antagonistes ». Le deuxième est celui de la « récursivité organisationnelle », dans lequel « les produits et les effets sont, en même temps, les causes et les producteurs de ce qui les produit ». Et le troisième serait le principe « hologramatique », au moyen duquel on prend conscience que « non seulement la partie est dans tout, mais que tout est dans la partie ». Eh bien, jetons un coup d’œil à la conjoncture politique des projets municipalistes (et spécialement à Ahora Madrid, que je connais le plus) pour voir à quel point cette manière de comprendre la complexité peut nous être utile dès qu’il s’agit de repenser les processus et dessiner des horizons futurs, en laissant de côté la rhétorique et en essayant de faire bien réelles ses potentialités.
Après plus d’un an de gouvernements « du changement » il est l’heure de faire un bilan critique et retracer le cycle à venir, pour lequel j’ai bien peur qu’il sera nécessaire de repenser nos outils politiques et d’imaginer leurs valeurs. Face à tous ceux et celles qui pensent les futurs projets et candidatures municipalistes depuis le paradigme de la simplicité organisationnelle (rappelons-nous : disjonction et réduction), certains d’entre nous pensons qu’il serait beaucoup plus audacieux et cohérent de répondre aux défis locaux depuis des paramètres complexes. Pour cela il sera nécessaire de traduire dans le domaine politique ces trois principes moriniens que nous avons résumé. Un Ahora Madrid « dialogique » consisterait à maintenir la dualité au sein de son unité. En d’autres mots, assumer que les projets municipalistes sont quelque chose de plus qu’une institution, plus qu’un gouvernement municipal, plus qu’un parti et quelque chose de plus qu’une myriade des familles et des factions internes en dispute. L’unité et la cohérence de Ahora Madrid résiderait plus dans la reconnaissance et l’interaction avec la pluralité d’acteurs socio-politiques qui ont le droit et la force de marquer l’agenda du gouvernement de la ville que dans l’alignement et la discipline organisationnelle interne.
Les mouvements sociaux, la PAH, les Centres Sociaux Okupados, les Initiatives Citoyennes,… sont en fait tout aussi importants que Podemos, Ganemos, IU, Equo, M129… Construire un Ahora Madrid fort revient à être capables de recomposer un écosystème hétérogène dont la traduction organisationnelle répondrait à cette même hétérogénéité. Être plus qu’une structure qui reproduit ses directives étroites (soit par les moyens de la distribution proportionnelle, Dowdall, Borda) en faisant la sourde oreille à la métamorphose de la ville c’est-à-dire à la vie même au-delà de l’institution.
En même temps un Ahora Madrid « récursif » consisterait à comprendre que les dynamiques à l’intérieur et en dehors de l’institution, ainsi que les contradictions entre le public et le commun sont productrices de politiques, en même temps que des causes et effets de ces mêmes politiques. Il ne devrait pas avoir d’autonomie du politique par rapport à l’univers du social. Le politique et le social sont, mutuellement, des antécédents et conséquences entre eux, il en résulte que toute velléité « gouverniste » ou « managériale » des gouvernements municipaux, passe à côté de la richesse et le dépassement qui pourrait être obtenu d’une plus grande interaction avec la société. Finalement, un Ahora Madrid « hologramatique » serait celui qui assume que non seulement la partie est dans tout, mais que tout est dans la partie, en d’autres mots que faire municipalisme ne se réduit pas au groupe municipal, ni à l’ensemble de conseillers et de membres proches, ni à l’équilibre de forces entre les divers acteurs qui composent les candidatures municipalistes. Chaque acteur sociopolitique de la ville est potentiellement un sujet du mouvement municipaliste. Chaque acteur doit donc avoir un rôle majeur, il doit pouvoir participer à la planification et à la mise en place des initiatives, il doit non seulement être écouté, mais il doit aussi prendre parti dans les décisions.
Comment le faire ? Avec ténacité, imagination, joie, dévouement, volonté politique et audace, avec la reconnaissance de la pluralité intrinsèque de la vie sociale, avec le refus du repli sur soi administratif et autoréférentiel. Ce n’est pas facile, mais personne n’a dit que ce voyage allait être simple.
Les temps de complexité sont à nos portes. Des défis importants se tissent à l’horizon. Dans les mois prochains nous allons assister à la célébration de différents conclaves organisationnels de grande signification : Podemos, Ahora Madrid, En Comú Podem, et beaucoup d’autres projets politiques … Puissent dans leurs méthodologies et leurs accords, leurs perspectives, leurs processus politiques et leurs sensibilités nous rendre capables de fuir le paradigme de la simplicité, pour rendre réel ce que le 15-M nous a appris à tous et à toutes.
Ernesto García López, membre de M129
* (traduction commonspolis, texte original chez madrid129.net)