Comment une ville leader du mouvement municipaliste comme Barcelone envisage-t-elle la sécurité de ses habitant.e.s ? Quels instruments et leviers concrets utilise-t-elle ? Est-ce qu’il existe une politique de sécurité municipaliste qui se différencie des autres approches plus classiques ou plus répressives ?
Pour ce #REC “Sécurité, Covid et Municipalisme”, Commonspolis a souhaité avoir le point de vue d’une ville qui, pour tous, s’incarne comme leader au sein du mouvement municipaliste. Commonspolis s’est entretenu avec Lucia Morale, conseillère au sein du service de Sécurité de la Mairie de Barcelone, concernant les particularités de la capitale catalane.
Dans cet entretien, Lucía nous explique pourquoi il est fondamental de construire des politiques de sécurité à la fois transversales et globales. Elle nous raconte également comment dans un contexte de contrôle accru de la pandémie, la mairie de Barcelone a agi afin d’être au plus près des populations vulnérables qui se sont vues fortement touchées par ces mesures.
Cet entretien présente un ensemble de solutions inspirantes pour les contextes de santé et de violences dans nos quartiers. Mais surtout il présente une approche progressiste, démocratique, fondée sur la défense des droits de l’homme, qui nous invite à repenser les réflexes répressifs, souvent simplistes et à court-terme pour répondre à l’insécurité.
Pouvez-vous nous parler de votre trajectoire personnelle ? Comment êtes-vous devenue responsable de la sécurité de la mairie de Barcelone ?
Lucía Morale: Je suis argentine, je suis née dans le sud de l’Argentine. C’est là que mon travail a commencé, lié aux droits de l’homme, dans un organisme qui se nomme H.I.J.O.S. (Fils et filles pour l’Identité et la Justice contre l’Oubli et le Silence). J’ai d’abord été militante, puis j’ai travaillé dans l’équipe juridique dans le cadre du processus de justice contre les militaires de la dictature argentine. Puis en 2011, au sein du tout récent ministère argentin de la sécurité, j’ai rejoint l’équipe de direction et nous avons développé un programme sur l’utilisation de la force et des armes à feu qui comportait une partie d’entraînement de la police et d’enquête sur les abus policiers, et une partie concernant la doctrine et la procédure. J’ai coordonné ce programme pendant deux ans, en tant que directrice du développement professionnel pour les forces fédérales en Argentine.
Ensuite, je suis venue à Barcelone en 2014. J’avais étudié le droit et suivi un master en politiques de sécurité, et je suis venue faire un master en criminologie à Barcelone. J’ai commencé à me mettre en relation avec Barcelona en Comú et un collègue responsable de la gestion de la sécurité du conseil municipal m’a appelé. C’est ainsi que j’ai rejoint la Mairie comme conseillère dans ce domaine.
Mon rôle consiste essentiellement à réfléchir aux réponses et aux améliorations possibles et à les mettre en pratique tant au sein de l’organisation municipale que dans les politiques publiques. Je me concentre principalement sur la proximité, l’usage de la force, la perspective de genre et la violence contre les femmes.
« Ce que nous essayons de faire, c’est d’axer la sécurité sur les personnes en ayant une vision qui envisage la complexité. Nous nous efforçons d’établir des liens de façon transversale entre les services de police et les autres services. La résolution des problèmes dépend souvent d’autres domaines, social, éducatif, travail, logement. »
Lorsque j’ai commencé, l’une des questions clés était de mettre en place ou de développer la police de proximité dans la Guardia Urbana de Barcelone, qui est la force de police locale. J’étais chargée de la conception du projet. Je les ai accompagnés dans la mise en œuvre du changement organisationnel que cela a impliqué : formation, sélection du personnel et modifications internes dans l’ensemble de la Guardia Urbana.
D’autre part, nous avons un objectif concernant le genre qui est très clair et très important : intégrer plus de femmes dans l’organisation et que l’organisation soit un bon espace de travail pour elles. Mon travail consiste à analyser l’état de la question, à proposer des améliorations dans chacun de ces domaines. Une fois que c’est approuvé politiquement, la mise en œuvre est coordonnée avec les différentes équipes techniques qui font partie du conseil municipal et avec la Guardia Urbana ou les pompiers.
Ce que j’aime le plus au niveau municipal, c’est qu’en dépit des nombreuses limites, on peut constater des améliorations ou des changements concrets. Je suis ici depuis quatre ans et nous constatons des changements. Je pense donc que ça en vaut vraiment la peine.
Quelles sont les compétences de la mairie de Barcelone en matière de sécurité? Quelle est la situation de la sécurité à Barcelone?
Lucía Morale: Il est important de parler des compétences car chaque ville a sa propre législation en fonction de chaque pays. Ici, au niveau local, nous avons principalement des compétences dans la gestion des conflits de cohabitation et aussi dans la prévention de certains délits et les premières interventions. Nous avons également des compétences en matière de protection de l’environnement et des animaux ainsi qu’en matière de sécurité routière, qui est une compétence exclusive de la Guardia Urbana. Nous n’avons pas la partie enquête, qui est dérivée à la police catalane, au niveau de la communauté autonome (CA). Nous n’avons pas non plus la partie médico-légale, ni la partie judiciaire et pénale, ni la gestion de l’ordre public que gère la police de la CA.
D’autre part, nous pouvons dire qu’en général, Barcelone est une ville sûre, ici nous avons peu de délits violents. 90% des délits sont liés à des problèmes de propriété, de vol et de cambriolage. La principale cause de mort violente est la sécurité routière, comme dans beaucoup d’autres pays. C’est une question qui est parfois laissée de côté dans la presse, bien qu’elle soit très importante.
Bien sûr, la question de la violence contre les femmes est très centrale, et bien que nous n’ayons pas toutes les compétences, c’est une question qui nous préoccupe et nous touche beaucoup. Nous avons dans la mairie les services d’attention aux femmes, mais du côté de la police, nous n’avons qu’une petite partie, le reste étant sous la responsabilité d’une autre police.
Enfin, il y a quelques années, nous avons eu un attentat terroriste et nous sommes toujours en alerte A4, ce qui a un impact sur l’organisation opérationnelle quotidienne dans la ville et là aussi nous avons une petite partie de la compétence et ce qui est l’enquête et autres ne nous concerne pas.
Concernant la gestion de la pandémie : la mairie a-t-elle des compétences précises?
Lucía Morale: Lorsque le covid a commencé, les instructions ont été décidées au niveau de l’État. La police exécutait uniquement les ordres provenant du Ministère de l’Intérieur. De là provenaient les indications sur ce qui devait être sanctionné et comment. Après la fin de l’état d’urgence, les CA ont repris leurs compétences. Bien qu’il existe une table de coordination où les CA informent l’État de leur situation épidémiologique et communiquent les mesures prises, les décisions sont propres à chaque communauté.
Cela a donc généré une certaine dispersion dans les différentes CA en fonction des mesures prises. Face à cette dispersion et comme la question épidémiologique se compliquait beaucoup, les CA ont demandé une décision centrale car les mesures se multipliaient en termes de restrictions de liberté, etc. Elles avaient besoin de l’égide de l’État pour que les décisions soient valides sur le plan normatif et institutionnel. C’est pourquoi l’État a de nouveau été invité à déclarer l’état d’urgence.
Au niveau du conseil municipal, nous n’avons pas une grande marge de manœuvre car nous dépendons de ce que dit la CA. Le conseil municipal dispose certes également d’une table de coordination, nous faisons partie de l’organe de la CA qui prend les décisions, mais au final nous pouvons seulement donner l’avis du conseil, ce que nous pensons être utile ou approprié, mais ce n’est pas notre décision. Ce qui dépend de nous, c’est la gestion et l’action de la police locale.
De quoi parle-t-on quand on parle de sécurité citoyenne à Barcelone ?
Lucía Morale: Ce qui nous caractérise, c’est une vision ample de la sécurité, c’est-à-dire qu’elle ne se limite pas aux seules compétences que nous avons au niveau municipal. Ce que nous essayons de faire, c’est d’axer la sécurité sur les personnes en ayant une vision qui envisage la complexité. Nous nous efforçons d’établir des liens de façon transversale entre les services de police et les autres services. La résolution des problèmes dépend souvent d’autres domaines, social, éducatif, travail, logement.
Nous devons alors exiger que tous ces domaines fassent l’objet de politiques efficaces. Et puis, dans la partie qui nous concerne de gestion de la police, générer des synergies avec les autres services qui travaillent également sur le territoire et qu’il y ait une connaissance mutuelle des fonctions et des actions de chaque service, ainsi que renforcer ces synergies.
En fin de compte, en matière de sécurité, une chose est l’organisation administrative, les acteurs et les compétences, puis il y a la réalité de la ville où les conflits et les besoins se mélangent et où, par conséquent, un travail commun est nécessaire entre les acteurs et les différents niveaux de l’administration.
« Comment savons-nous que les politiques de prévention qui sont mises en place sont efficaces aujourd’hui ? Comment savons-nous si une politique de sécurité fonctionne ou non ?[…] L’élaboration de données dans la création d’indicateurs différents est essentielle pour définir des politiques de prévention efficaces. »
L’une de nos caractéristiques est la perspective des droits. Elle ne dépend pas exclusivement de notre domaine de sécurité. Par exemple, toute la question de la politique migratoire en Espagne comme dans l’UE repose souvent sur des raisons de sécurité. Au niveau municipal, nous ne pouvons pas définir la politique migratoire. Cependant nous essayons que toutes les actions que nous menons intègrent cette perspective des droits, un regard avec lequel au niveau européen nous voudrions qu’elle soit gérée : toutes les personnes ont des droits, nous ne pouvons pas avoir une loi comme ici qui exclut les gens pour leur nationalité. Mais bien sûr, la marge de manœuvre dont nous disposons n’est pas très large car nous devons respecter la loi existante.
Notre approche au conseil municipal place la participation des citoyens comme axe transversal. En faire un axe transversal n’est pas facile, c’est l’un des plus grands défis que nous ayons. Nous essayons de l’intégrer de plus en plus, non seulement dans des forums de participation qui était peut-être une première approche, en écoutant quels sont les problèmes, mais pour pouvoir vraiment penser à des solutions qui soient des alternatives à ce qui a été proposé jusqu’à présent. Ce n’est pas facile. Il s’agit non seulement d’intégrer les citoyens, mais aussi de mettre en relation d’autres services et d’autres politiques publiques qui sont ceux qui résolvent les problèmes.
Quelles sont les grandes lignes de la législation sur l’immigration en Espagne?
Lucía Morale:Si un non-touriste vient de l’extérieur de l’UE, il aura beaucoup de difficultés à obtenir une résidence légale et à accéder aux étapes initiales pour obtenir la citoyenneté légale. En outre, avec la question du covid, cela est devenu plus complexe. Si une personne reste dans ce qu’on appelle une situation irrégulière et n’a pas de résidence légale et n’a pas rempli les conditions d’arrivée avec un contrat de travail de l’extérieur, il est très difficile de régulariser la situation.
Par exemple, de nombreuses personnes finissent par régulariser leur résidence grâce à un processus appelé « de arraigo » (prendre racine), qui exige de vivre ici pendant 3 ans. Mais pendant ces trois années, vous ne pouvez pas accéder au marché du travail ou aux services publics, ce qui vous empêche de développer un projet de vie et vous vous retrouvez avec le risque permanent d’être expulsé ou enfermé dans un centre de détention pour étrangers qui est comme une prison pour immigrés.
Quels sont les défis en matière de sécurité pour une ville comme Barcelone ?
Lucía Morale:Si j’y pense en termes de politique de sécurité, je vois clairement deux défis, l’un plus technique et l’autre plus structurel.
Pour moi, le défi technique concerne l’évaluation, c’est-à-dire la conception et la mise en œuvre des politiques de sécurité. Je crois que nous avons encore un grand déficit en termes de développement d’indicateurs. Ils sont très insuffisants et, en général, nous nous reportons toujours aux registres des délits ou aux interventions de la police. Si nous voulons avoir un regard vraiment complexe sur la situation, nous devons intégrer d’autres types d’indicateurs.
Par exemple : que deviennent les infractions telle que la traite de personnes lorsqu’elles ne sont pas dénoncées ; comment les identifier ? comment les travailler ? ou comment se génère la sensation d’insécurité ? Nous avons d’une part les infractions et la sécurité que l’on appelle objective et d’autre part la sécurité subjective qui est la sensation d’insécurité que les gens ressentent. Ce qui génère cette sensation n’est pas nécessairement liée à la quantité de délits.
L’élaboration de données dans la création d’indicateurs différents est essentielle pour définir des politiques de prévention efficaces. Comment savons-nous que les politiques de prévention qui sont mises en place sont efficaces aujourd’hui ? Comment savons-nous si une politique de sécurité fonctionne ou non ? C’est actuellement l’une des questions importantes.
» Nous étions inquiets par le fait que certaines violences graves puissent être déclenchées et qu’il n’y avait aucune possibilité, en raison du confinement, de pouvoir porter plainte. Nous avons décidé de créer un service commun entre les services sociaux, les services d’aide aux femmes et la police. Nous sommes actuellement entrain de réaliser un projet pilote dans un district qui sera étendu à toute la ville. »
Un autre défi concerne la culture, la sensibilisation et l’action citoyenne. Personnellement, je pense que nous manquons d’implication dans la gestion publique en termes de sécurité. Il y a très peu de participation et, bien souvent, lorsqu’il y a participation, c’est pour demander plus de sanctions, plus de présence policière. Nous manquons de travail citoyen et nous devons nous impliquer davantage et en savoir plus sur la question avec cette perspective large. Je ne suis pas entrain de dire que s’il y a une situation spécifique où il y a un délit, ou une situation problématique dans un quartier, il ne faut pas donner une réponse à court terme. Il faut certainement combiner une réponse à court terme qui peut passer par la présence de la police, par une enquête, ou par des services de médiation, des services sociaux, selon le cas. Mais je crois que le problème en général est que les actions restent dans cette proposition à court terme, et qu’avec ces actions se referme le thème. La projection à long terme fait défaut.
Je crois aussi qu’en tant que citoyens, nous devons apprendre à formuler des solutions, ce qui n’est pas facile au niveau de la sécurité. Il n’y a donc pas de participation et lorsqu’il y a participation, c’est pour demander plus d’amendes, plus de sanctions ou plus de police ; c’est l’un des défis que nous devons relever.
Quels sont les principaux obstacles à cette action municipale et de quels avantages dispose la mairie?
Lucía Morale: L’un des avantages est la proximité des citoyens. Il est beaucoup plus facile de réfléchir aux questions de participation et d’intégration des citoyens au niveau municipal qu’au niveau de l’État où la communication est très complexe et les territoires très divers. Ici, vous êtes entouré par les habitants des quartiers et il est donc très facile de s’approcher d’eux. Cependant, cela reste complexe et constitue toujours un défi important, mais l’action municipale favorise cette proximité.
L’un des obstacles réside dans les pouvoirs limités de l’échelon municipal. Je ne veux pas suggérer que le conseil municipal devrait avoir tous les pouvoirs dont dispose un État ou une Communauté autonome. Le problème se pose lorsque, pour mettre en œuvre certaines politiques, nous avons besoin d’une coordination entre les administrations. Même lorsque cette coordination existe, ces administrations ont parfois une vision contradictoire de celle de la mairie. Il est donc impossible d’aller de l’avant. Par exemple, la question de la création de données nous affecte sur de nombreux points de sécurité. Il y a de nombreux éléments sur lesquels nous travaillons et que nous générons au niveau municipal, mais les indicateurs au niveau des CA restent les mêmes et ils ne partagent pas la même vision que nous. Nous avons fait des progrès, mais nous pourrions certainement en faire beaucoup plus si les autres administrations partageaient nos approches.
Pouvez-vous nous parler de certaines expériences de gestion qui vous semblent significatives dans cette période depuis la pandémie ?
Lucía Morale: J’en évoquerais deux : l’une qui concerne la protection des personnes en situation irrégulière et l’autre, la violence machiste, qui a donné lieu à un travail plus approfondi.
Lorsque l’état d’urgence a été déclaré en mars 2020 et que le confinement obligatoire a été instauré, il y avait quelques exceptions, dont une pour aller travailler. Si votre sortie n’entrait pas dans les motifs qui autorisaient la sortie du domicile, la police vous infligeait alors une amende.
Nous avons constaté que de nombreuses personnes qui effectuent des tâches de soins, de nettoyage chez d’autres personnes, précisément en raison de la réglementation espagnole, n’ont pas de contrat et sont en situation irrégulière. Elles n’avaient donc aucun moyen de prouver qu’elles allaient travailler. Elles étaient inquiètes et ne voulaient pas quitter la maison car un contrôle de police pouvait les conduire à être expulsées du pays. Elles ne travaillaient pas et, en même temps, c’étaient des gens qui soutenaient une tâche essentielle de soins, celle de s’occuper d’autres personnes et familles.
Nous avons là cette limitation : la norme de l’État est ce qu’elle est, ce type de situation n’était pas prévu dans l’état d’urgence. Ainsi, au niveau municipal, la proposition de la police a été de mettre en place quelque chose de similaire aux déclarations individuelles qui étaient utilisées en France. Ici, elles étaient utilisées au niveau de la communauté autonome mais elles devaient toujours être accompagnées de pièces justificatives. Ces personnes n’avaient pas de contrat de travail et les personnes qui les employaient ne voulaient pas non plus signer un papier disant qu’elles travaillaient chez elles.
» L’autre question que la sécurité met en évidence est tout le chemin qui reste à parcourir en ce qui concerne la participation active des citoyens […]Une chose que renforce le covid c’est la nécessité de trouver un équilibre dans les mesures qui sont définies, d’essayer de les empêcher d’être seulement répressives tout en évitant le paternalisme. «
Ce que nous avons mis en œuvre dans ces cas précis, c’est un formulaire dans lequel les personnes mentionnaient qu’elles étaient des travailleuses domestiques et qu’elles se dirigeaient simplement à cette adresse parce qu’elles avaient ce travail. Ce fut une mesure de la police municipale, tout le personnel interne a été informé que s’il se trouvait dans la rue avec une personne qui avait ce formulaire, elle n’avait pas besoin d’autres documents et l’on considérait que la personne justifiait le déplacement. Ce fut une action de crise peut être concrète et de faible ampleur, mais elle nous a permis de résoudre ce problème.
La violence machiste est un autre exemple sur lequel nous travaillons encore et qui nous a beaucoup préoccupé. Nous étions inquiets par le fait que certaines violences graves puissent être déclenchées et qu’il n’y avait aucune possibilité, en raison du confinement, de pouvoir porter plainte. Nous avons décidé de créer un service commun entre les services sociaux, les services d’aide aux femmes et la police. Nous sommes actuellement entrain de réaliser un projet pilote dans un district qui sera étendu à toute la ville.
Nous savions que pendant le confinement, ces situations continueraient à se reproduire. Dans la vie sans confinement, c’était déjà difficile, alors dans la période de confinement, c’était encore plus compliqué – ayant si peu d’espaces pour sortir, les femmes allaient être beaucoup plus limitées.
» […] la sécurité ne peut être isolée des autres politiques. Nous devons l’inclure dans cette vision globale, nous devons avoir une vision transversale afin de travailler la sécurité dans ce cadre plus large. Nous ne pouvons pas résoudre les problèmes de sécurité seulement avec la police, et nous le savons. «
Alors, nous avons commencé à examiner les appels entrant aux urgences : il y en avait encore malgré la chute des plaintes. Dans le groupe que nous avons formé avec la police locale, la police régionale et les services d’aide aux femmes, nous avons analysé tous les appels reçus aux urgences.
Parfois, après un appel, la patrouille de police arrive et il n’y a aucune preuve qu’une situation violente s’est produite à ce moment-là. Alors l’intervention n’aboutit pas vraiment, pour ainsi dire. Nous avons alors croisé les domiciles qui avaient appelé plus d’une fois (dans de nombreux cas, les voisins appellent). À partir de là, nous nous sommes mis en relation avec ces services pour voir s’il était possible – sans mettre la femme en danger – de les rapprocher avec certains de ces services : services sociaux, services de santé, un organisme avec lequel elle pouvait être liée. Dans certains cas, nous avons détecté des situations graves qui n’avaient pas été vues au moment où la patrouille arrivait, mais nous pouvions les voir par la répétition des appels, par les récits des voisins ou si nous voyions qu’il pouvait y avoir une situation plus risquée s’il y avait des mineurs présents.
Et cela nous a également permis de coordonner les informations entre la guardia urbana et la police de Catalogne. Le système d’urgence dérive en fonction des compétences : en cas de situations graves, l’une des deux forces de police peut intervenir, mais dans de nombreux cas graves, c’est la police de la CA qui intervient, et en cas de problèmes de proximité, c’est la police locale qui intervient.
Nous nous sommes rendu compte qu’il y avait des cas où il nous manquait la connexion d’information entre les deux corps policiers. Par exemple, il y avait des affaires qui faisaient l’objet d’une enquête judiciaire, qui étaient travaillées et pour lesquelles des plaintes avaient été déposées, puis il y a eu un appel d’un voisin un jour, la patrouille est allée et n’a rien trouvé, cette information a été perdue car rien n’était trouvé et l’affaire était classée.
Cet espace a donc été créé pour générer de la prévention et intervenir dans des cas qui n’ont peut-être pas de traces d’infractions, mais où nous voyons une certaine situation de risque. C’est à partir de là que se fait cette analyse transversale entre les différents services. Et toujours en tenant compte et en respectant l’autonomie des femmes.
Enfin, avec les restrictions en général, par exemple, nous essayons de ne pas sanctionner directement les personnes qui ne portent pas de masque. Favoriser plutôt un processus consistant à informer la personne qui ne l’a pas, qu’elle l’obtienne si elle ne l’a pas, lui indiquer où se trouve une pharmacie à proximité et ensuite s’il n’y a pas de raison et qu’elle résiste, imposer une sanction. Cette conduite suit un protocole.
Que nous enseigne le covid sur la gestion de la sécurité dans les villes, et qu’avons-nous appris de cette situation si particulière ?
Lucía Morale:Je crois que nous n’avons pas appris de choses vraiment nouvelles, mais que cela a confirmé l’importance de ce que nous savions déjà.
Le covid a peut-être renforcé l’importance de certains éléments : que la sécurité ne peut être isolée des autres politiques. Nous devons l’inclure dans cette vision globale, nous devons avoir une vision transversale afin de travailler la sécurité dans ce cadre plus large. Nous ne pouvons pas résoudre les problèmes de sécurité seulement avec la police, et nous le savons. Cette approche globale ne doit pas commencer au moment où la solution est proposée, mais elle doit commencer lorsque le problème est analysé. Ce qui se passe souvent, c’est que lorsque l’on aborde la transversalité pour travailler une problématique particulière, on se rend compte que les origines de ces problèmes sont liées à des politiques publiques d’un autre type dans de nombreux cas : éducation, logement, santé. C’est donc à ce niveau que nous devons commencer à réfléchir à la politique de sécurité.
L’autre question que la sécurité met en évidence est tout le chemin qui reste à parcourir en ce qui concerne la participation active des citoyens.Il n’y a pas eu assez de liens avec les citoyens. Une chose que renforce le covid c’est la nécessité de trouver un équilibre dans les mesures qui sont définies, d’essayer de les empêcher d’être seulement répressives tout en évitant le paternalisme. Mais cela nous coûte renforcer la prise de pouvoir de la citoyenneté et d’avoir un dialogue entre le public et les citoyens d’un autre côté.
Au niveau de la CA, les groupes concernés par certaines mesures n’ont pas été consultés et il n’y a même pas eu de dialogue. Par exemple, nous avons maintenant un taux de contagion très important chez les jeunes, les loisirs sont restreints, les universités sont à nouveau fermées, mais il n’y a pas eu d’espace de dialogue avec les jeunes. On dit toujours : « Vous devez obéir ! », sans chercher à savoir ou écouter pourquoi cela ne peut pas être respecté, ou comment cela serait mieux ou quelle autre mesure pourrait mieux résoudre le problème. Pendant le confinement, cela s’est également produit avec le groupe des personnes âgées qui étaient les plus touchées à ce moment-là. Plus tard, beaucoup ont exprimé le sentiment d’avoir été un peu stigmatisés, qu’ils n’avaient pas pu faire partie de ce processus, disons.
Ensuite, la police municipale a participé aux campagnes d’information avec une chose très simple : les haut-parleurs des voitures de patrouille qui patrouillaient dans la ville portaient les messages, les informations aux citoyens.
» Il est essentiel de comprendre que soit nous le faisons de manière transversale, soit ces efforts sont perdus car si chacun reste dans son propre domaine, il est impossible d’atteindre ce résultat. La société ne fonctionne pas de manière compartimentée comme l’administration. L’administration devrait refléter beaucoup plus notre vie en dehors de celle-ci. »
D’autre part, nous voyons des collectifs descendre dans la rue pour s’opposer aux mesures, je ne parle pas des groupes négationnistes qui disent qu’aucune mesure ne devrait être prise, mais maintenant nous avons des manifestations de chauffeurs de taxi, de personnes qui travaillent dans la restauration et l’hôtellerie et qui ne comprennent pas le pourquoi de ces mesures. Des propriétaires de gymnases et d’installations sportives de même. Il est parfois vrai que les mesures ne sont pas très cohérentes. Par exemple, ici, la restauration et les loisirs ferment à 22 heures et les installations sportives à 21 heures. Pourquoi ? Lorsqu’il commence à y avoir de l’incohérence, les gens ne la comprennent pas et cela serait résolu en l’abordant plus tôt, en s’intégrant dans les processus de décision. En matière d’action citoyenne, nous avons encore un long chemin à parcourir.
Enfin, il y a une autre grande question dont je suis tout à fait consciente : Parfois, nous nous concentrons sur le nombre d’infections et nous perdons de vue les implications dans la vie des gens. Lorsque nous parlons de mesures et de restrictions, nous devrions être beaucoup plus prudents. Parfois, cette idée que nous sommes dans une situation d’urgence justifie et fait que la société tolère davantage la restriction. Nous devons toujours analyser les restrictions, leur légalité et faire en sorte qu’elles soient proportionnées. Les libertés ont été restreintes, ce qui est très important. De la part de l’administration, nous devons être très stricts avec cela afin de ne pas perdre de vue que nous devons analyser tous les impacts des mesures qui sont dictées et voir si le même but peut être atteint avec des mesures moins restrictives.
Par exemple, lorsque nous étions au milieu de la pandémie, je faisais des rapports sur les mesures mises en œuvre dans différents endroits pour avoir des références actualisées, parce qu’elles changeaient beaucoup. Ici, au moment où nous étions confinés et où nous avons commencé à pouvoir faire du sport, la possibilité d’une restriction par carte d’identité a été évoquée. On m’a demandé un rapport pour analyser la possibilité de cette mesure. Ce que j’ai analysé, c’est que dans les endroits où c’est appliqué, il n’y a aucune démonstration de son efficacité, au-delà d’autres critères, comme la tranche d’âge que nous avions ici.
En revanche, on observait de nombreux inconvénients. Par exemple, dans une famille monoparentale, la mère est la seule personne à la maison et elle doit faire les courses, gérer tout pour sa famille et ne peut sortir que le jour où sa carte d’identité le lui permet.
Quelles réflexions ou quels outils pensez-vous qu’il serait utile de partager avec d’autres villes municipalistes ?
Lucía Morale: J’aimerais partager trois éléments importants que nous pourrions renforcer à partir de l’expérience municipaliste que nous partageons avec d’autres villes :
- Remettre en question les données que nous utilisons pour formuler une politique de sécurité. Il faut se demander de quelles données disposons-nous et si ces données nous permettent vraiment de diagnostiquer un problème et de réfléchir à des solutions. Analysons-nous uniquement les données de la police ou incluons-nous davantage de données ? Car c’est là que commence la vision globale de la sécurité.
- Développer le travail transversal entre les services. Il ’est essentiel de comprendre que soit nous le faisons de manière transversale, soit ces efforts sont perdus car si chacun reste dans son propre domaine, il est impossible d’atteindre ce résultat. La société ne fonctionne pas de manière compartimentée comme l’administration. L’administration devrait refléter beaucoup plus notre vie en dehors de celle-ci. Le travail transversal n’est pas une tâche facile car il implique de briser beaucoup de résistances, non seulement dans le domaine de la police mais aussi dans celui des services sociaux par exemple, parce que le travail est généralement cloisonné, l’information n’est pas partagée par méfiance envers les autres services, etc.
- Inclure les citoyens au sens le plus large dans la définition des politiques de sécurité. Je ne parle pas seulement des personnes qui ont une carte d’identité ou qui appartiennent à l’administration ou à une certaine catégorie sociale et qui ont certaines compétences. Mais comment inclure davantage de personnes et comment mesure-t-on l’impact que ces politiques peuvent avoir? Comment met-on dans l’agenda politique des problèmes qui touchent des secteurs de la société qui ne feront peut-être pas la une des journaux chaque semaine mais qui sont au contraire des questions beaucoup plus profondes et plus graves.
Je pense qu’il y a beaucoup d’expérience au niveau municipaliste parce qu’il y a déjà beaucoup de travail effectué avec l’organisation des quartiers et l’autonomisation des réseaux de travail. Ces mêmes espaces doivent être utilisés pour travailler les politiques de sécurité. Je pense que nous avons déjà de l’expérience dans d’autres domaines et nous devons voir comment nous pouvons la transférer dans le domaine de la sécurité.
Cette interview fait partie d’un série d’entretiens, d’articles d’analyse et de propositions du #REC : Sécurité, Covid et Municipalisme.
Elle a été réalisée en espagnol le 27 octobre 2020 par Averill Roy (Commonspolis), et traduite par Flore Garcia-Bour.