rafa juan

Pour comprendre les causes de la naissance de Valencia en Comú, comme celles d’autres plateformes municipalistes de l’Etat Espagnol, il faut revenir au contexte. En effet, en 2011, une puissante crise économique, politique et sociale dévastait l’Espagne, juste au moment où l’article 135 de la Constitution fut modifié afin de pouvoir prioriser et ce jusqu’à aujourd’hui le paiement de la dette publique au détriment des services de base comme la santé et l’éducation, entre autres, au détriment de l’immense majorité des citoyens, relégués au dernier rang des priorités de l’Etat. Les mobilisations dans les rues à travers tout le pays se multiplient et cristallisent dans le 15M, un mouvement qui a rempli les rues et les places des villes espagnoles à la veille des élections municipales et des régions autonomes du 22 mai 2011, prélude de la majorité absolue qu’obtiendrait le Parti Populaire (PP) au mois d’octobre.

L’impitoyable politique de recoupes budgétaires, de perte des droits sociaux et des droits du travail voire même des libertés menée part le PP a conduit à la nécessité d’un changement au sein des institutions et de démarches politiques pour articuler ce changement. Changement dont le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE), jusque là parti principal d’opposition, mais membre indispensable du bipartisme paralysant qui ligotait l’imparfaite démocratie espagnole, était incapable de mener à bien par impuissance ou par manque de volonté ou les deux à la fois.

C’est ainsi qu’en 2014, en prévision des élections municipales et autonomes de mai 2015 ont surgi diverses initiatives dans de nombreux territoires de l’Etat pour définir des alternatives au bipartisme et surtout au Parti Populaire, comme dans le cas de Valence. Le projet le plus connu, voire même le plus précoce, a été Guanyem Barcelona, dirigé par Ada Colau, d’ailleurs actuelle maire de la capitale catalane.

Un manifeste signé par des centaines de personnes à l’été 2014 a annoncé la mise en marche de Guanyem Valencia, convoquant une assemblée qui, finalement s’est célébrée le 23 septembre dans le Théâtre El Micalet, dont les participants ont excédé la capacité du lieu. On entendait dire que c’était la première fois que l’on voyait autant de gens à un événement non organisé. Il y avait dans le théâtre des représentants de collectifs et de mouvements sociaux et citoyens, de partis de gauche et de syndicats ainsi que de nombreuses personnes sans appartenance aucune. Il y eut des discours pour tous les goûts, certains de représentants de la dénommée vieille politique, beaucoup avec des contenus banals, certains emplis de scepticisme, de nombreux enthousiastes et réjouissants. Des personnes plus ou moins connues et des inconnus prirent la parole. Il y avait des gens de tous les âges. Il fut convenu à main levée, convertissant cet événement en Assemblée constituante, de constituer Guanyem Valencia, une plateforme multipartite et de convergence avec les mouvements sociaux et citoyens avec pour but de participer aux élections municipales. Ce fut une Assemblée tumultueuse et agitée, avec des protestes et des applaudissements, mais ce projet est né afin d’essayer de déloger de la Mairie Rita Barbera, du Parti Populaire, qui détenait le siège depuis quasiment un quart de siècle.

En décembre, à peine cinq mois avant les élections, des commissions de travail ont été créées afin d’aborder les différentes questions tels que le programme électoral, la méthodologie, la communication, la convergence avec d’autres forces du changement… Un autre organisme a aussi été mis en place, la Plénière, afin d’exposer, de débattre et d’approuver le cas échéant tout ce qui avait été traité au sein des Commissions, par ailleurs ouvertes à tous sans restrictions. Guanyem Valencia se voulait un lieu de rencontre, de convergence. Elle a essayé de se mettre en contact avec des associations et des plateformes sociales et citoyennes ainsi que diverses organisations politiques pour rassembler les forces. Un appel aux mouvements sociaux s’est effectué pour travailler les différents axes thématiques du programme électoral qui se mettait en place. Un Code Ethique a également été rédigé afin d’envisager les questions concernant la limitation des salaires pour les fonctions publiques, l’interdiction des dénommés « portes tournantes » (à savoir passer directement d’un poste de la fonction publique à une entreprise privée dans le secteur de l’administration et vice-versa) et finalement, l’obligation de commander en obéissant. Le Code Ethique s’est érigé actuellement en loi suprême, si l’on peut le qualifier ainsi, au sein de Valencia en Comú.

Il a fallu attendre le 30 janvier pour choisir une série de porte-parole au sein d’un processus qui, pourquoi le nier, se déroulait très lentement. D’autre part, il a fallu changer de nom car la dénomination de Guanyem avait été enregistrée par un conseiller municipal du Parti Populaire. Guanyem Valencia devint Valencia en Comú à partir de février 2015. Il a été décidé également ce mois-ci, après des débats houleux, que Valencia en Comú adopterait la forme juridique matériel de Parti. Le mois suivant, le Ministère de l’Intérieur légalise VALC, représentant les sigles de Valencia en Comú et contre vents et marée, et surmontant les prévisions les plus pessimistes, et les raisons existaient, il a été possible d’articuler grâce à des élections primaires, une candidature pour la Mairie de Valence qui respectait scrupuleusement la parité de genre. A cette hauteur là, aussi bien Compromis que « Gauche Unie » avaient refusé de faire partie de Valencia en Comú. Podemos, lui avait accepté et un accord avait été mis en place.

La campagne électorale, sans aucune préparation préalable, sans expérience, fut vertigineuse et l’effort réalisé pour expliquer et diffuser ce qu’était Valencia en Comú et ses objectifs fut titanesque. En ce sens, l’aide de Podemos n’eut pas de prix, cette formation politique disposant de davantage de visibilité. Concernant le financement, hors de question de faire appel aux banques, on demanda donc de l’argent aux gens, levant ainsi 17 500 euros, une somme modeste mais qui fit des miracles. En effet, de cette candidature de dernière minute, avec une plateforme municipaliste quasi inconnue, et avec plus d’enthousiasme et d’improvisation qu’autre chose, 40 000 votes ont été obtenus et trois élus locaux. D’ailleurs, ils manquèrent seulement 1500 votes pour obtenir une quatrième élue. On était en mai 2015. Rapidement, on a pu réaliser un accord avec le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (5 élus locaux) et avec Compromis (9 élus locaux). Le Parti Populaire, avec 10 élus locaux, se convertit en opposition, après avoir gouverné 24 ans. Les 6 élus locaux de Ciudadanos restèrent aussi dans l’opposition. Aujourd’hui, des quarante huit Conseils de la Mairie de Valence, dix sont gérés par Valencia en Comú. Il s’agit de la Jeunesse, l’Education, la Transparence, la Participation, l’Innovation, la Migration, la Coopération internationale, le Changement Climatique et l’Action culturelle… Ce sont donc des délégations, certaines nouvelles, qui ont un lien avec les processus de transformation à très long terme. Les deux élus locaux et l’élue locale de Valencia en Comú disposent d’une équipe de consultants dont le processus d’élection au sein de la plateforme s’est avéré complexe et mouvementé, mais s’est conclu avec pas mal de succès.

Indépendamment des problèmes, que nous ne cacherons pas, nous sommes très fières à Valencia en Comú d’avoir réussi à écrire une page de l’histoire à Valence, une ville de près d’un million d’habitants, d’avoir contribué à un changement politique nécessaire au sein d’une institution rongée par l’autoritarisme, l’arbitraire et la corruption. Depuis moins de deux ans, un courant d’air frais a envahi la Mairie de Valence, apportant à cette ville et à celles où ont triomphé également le changement, des idées et des projets de gens différents disposés à faire de la politique d’une autre forme non pour la citoyenneté mais avec la citoyenneté. Ce n’est pas facile, nombreuses sont les erreurs et les résistances rencontrées, mais on travaille activement pour que ce changement tant attendu se remarque et se remarque en bien.

Bien sûr qu’il y a des problèmes et qu’il y en a beaucoup. Pour commencer, nos représentants sont entrés dans des institutions dont le fonctionnement est long à connaître, avec des labyrinthes bureaucratiques difficiles à parcourir, avec peu de personnel et de moyens ralentissant l’exécution de projets. De plus, il existe des différences entre les membres du gouvernement municipal, du Parti Socialiste et de Compromis qu’il faut savoir gérer.

Ces différences qu’il faut savoir traiter existent aussi au sein de Valencia en Comú, où beaucoup de gens sont entrés, sortis et dans certains cas, revenus ; où l’enthousiasme initial s’est transformé dans beaucoup de cas en découragement, déception et épuisement. A Valence en Comú on marche et on construit en même temps, on travaille beaucoup et on débat encore plus, peut-être a t’on recourt trop souvent à la méthode scientifique agréée de l’essai erreur… Et tout cela parce que nous apprenons et essayons de mener à bon port une organisation fragile et faible, avec des composants très divers, avec des intérêts bien souvent contradictoires entre ceux qui composent la plateforme, avec des individualismes inévitables, des tentatives de soustraire plutôt que d’additionner, avec des difficultés, beaucoup de difficultés, pour articuler un modèle opérationnel de travail. Mais l’on ne se décourage pas et l’on poursuit, nous qui croyons en la participation, l’horizontalité et la transparence comme des axes de comportement politique, nous qui croyons au municipalisme, en la conversion vers le local comme la manière la plus efficace de changer l’universel, nous qui croyons aux individus et en leurs capacités pour construire un monde plus égalitaire, juste et libre. A Valencia en Comú nous sommes différentes et diverses et peut être est-ce l’origine de nos faiblesses. Cependant, nous sommes aussi convaincues que cette différence et cette diversité nous maintiennent dans la lutte et nous rendent fortes. Et, malgré les regrets, les misères et la boue qui bien souvent trainent la politique, on ne perd pas espoir. C’est pour cela que nous continuons à travailler dans ce projet aussi modeste que démesurément ambitieux dont nous ne savons pas s’il arrivera quelque part. Mais nous sommes convaincues, comme l’a dit le grand poète Antonio Machado, que « le chemin se fait en marchant. » On y travaille, nous faisons notre chemin, un chemin abrupte et avec de nombreux virages, mais un sentier en fin de compte. C’est de cela dont il s’agit..