Face aux nouvelles menaces sécuritaires qui pèsent sur les villes, les autorités réagissent par des mesures de protection des citoyens dont la plupart impliquent également de limiter leurs libertés. Une situation intenable sur le long-terme. Il est aujourd’hui nécessaire d’élaborer des politiques préventives construites en amont de la planification urbaine et croisant les regards entre urbanistes et experts de la sécurité.
par Arnaud Blin
Aux Etats-Unis, les premières semaines de l’année 2019 ont offert au public états-unien le spectacle peu glorieux d’un bras de fer entre Donald Trump et le Congrès démocrate sur la construction d’un mur en béton sur près de la moitié de la frontière entre le pays et le Mexique (celle qui n’est pas « protégée » par les éléments naturels). Outre que cette querelle touche à la problématique de l’immigration, celle-ci met en lumière deux visions opposées de la protection citoyenne et de la sécurité. Cette dichotomie sécuritaire s’applique aussi aux espaces urbains qui, contrairement à la frontière mexicano-étasunienne, posent des problèmes grandissants et de plus en plus compliqués aux autorités. De fait, alors que les organisations à caractère terroriste, ou celles qui s’en réclament, élargissent peu à peu leurs modes opératoires, des mesures nouvelles doivent être prises pour prévenir et endiguer ces menaces à la liberté et à la sécurité des individus qui vivent ou travaillent dans des villes. Pour les autorités, il est tentant de prendre des mesures qui, dans leur conception même, portent atteinte aux libertés, y compris la liberté de mouvement, des citoyens qu’elles sont censées protéger.
Traditionnellement, les Etats, comme l’illustre aujourd’hui le discours de Donald Trump, entre autres, ont eu le réflexe presque systématique d’ériger des barrières, souvent des barrières physiques (mur de Chine, Ligne Maginot, etc…), afin de se protéger d’une menace extérieure et même, intérieure. Aujourd’hui, les dispositifs de sécurité qu’on retrouve dans tous les aéroports du monde participent de la même logique. Ces dispositifs, il n’est pas inutile de le rappeler, étaient inexistants il y a quelques décennies à peine, lorsque l’on pouvait monter dans un avion comme on prend un autobus. L’exemple des aéroports, ou plutôt le contre-exemple, est parlant et devrait nous servir à mieux organiser la sécurité au sein des espaces urbains. De fait, les déplacements par aéronefs sont devenus extrêmement pénibles du fait des contrôles incessants qui attendent les voyageurs et si l’on doit tirer une leçon de cet exemple, c’est qu’il faut éviter à tout prix que ce type de dispositif ne viennent bousculer la vie quotidienne. Or, si les systèmes de sécurité des aéroports restent acceptables, c’est parce qu’ils n’affectent qu’une toute petite proportion des citoyens qui, par ailleurs, ont souvent le choix de se déplacer autrement.
A l’échelle des villes, une telle approche rendrait la vie quotidienne invivable. C’est pourquoi d’autres solutions doivent être recherchées qui, par ailleurs, doivent aussi intégrer la nécessité de prévenir et d’endiguer la radicalisation d’individus et de communautés au sein même des villes. Plutôt que d’ériger des barrières entre les uns et les autres, comme le veut la tendance actuelle, il serait beaucoup plus fructueux, en particulier à long terme, de faire le contraire et d’éliminer les obstacles à l’intégration sociale.
Dans certains pays, en particulier là où le taux de criminalité est élevé, comme en Afrique du Sud, des communautés suburbaines se sont créées qui ont érigé des quartiers-forteresses, soit des espaces résidentiels entièrement fermés (dont certains sont par ailleurs assez grands) et, théoriquement, protégés. On voit ce type de construction un peu partout, notamment en Amérique (du Sud et du Nord), qui encourage à la ghettoïsation des espaces urbains et à une fragmentation de la société selon l’échelle des revenus, les plus riches étant logiquement les moins exposés. Ce type d’approche, on le sait, est par ailleurs extrêmement favorable à la radicalisation puisqu’en isolant les communautés les unes des autres, on engendre l’atomisation et la marginalisation de certaines communautés et de certains individus qui, nourris de ressentiments, ne voient d’issue que dans la violence. Dans le cadre des attentats terroristes perpétués par (ou au nom de) Al-Qaïda ou Daech en Europe, on constate que les cellules sont constituées d’individus appartenant à une famille, habitant un même immeuble, une cité ou un quartier. Cependant, en parallèle à cette volonté chez certains de s’isoler, on constate aussi un désir chez certaines populations suburbaines de revenir dans le centre des villes, l’être humain était par nature un animal social qui désire se mélanger avec d’autres êtres humains et ne désire pas réellement vivre en autarcie. Il est important aujourd’hui d’encourager ce mouvement, à travers une urbanisation pensée à cet effet.
Le problème de la planification urbaine est qu’elle est souvent rétroactive avec une mise en œuvre qui traite de problèmes qui, souvent, ont évolué ou qui ne traite pas de nouveaux problèmes qui ont surgi durant la période séparant la planification de l’édification. Aujourd’hui, par exemple, il serait logique de repenser l’urbanisation et la sécurité urbaine en fonction des risques posés par les véhicules motorisés utilisés lors d’attentats. Certes, il est impératif de prendre en compte cette donnée nouvelle mais il faut également réfléchir aux armes potentielles qui pourraient être utilisées dans l’avenir, toujours dans le cadre d’attentats terroristes, par exemple les drones, pour citer un exemple parmi d’autres. Dans cette perspective, il serait judicieux de mieux coordonner qu’on ne le fait aujourd’hui le travail en amont des urbanistes, en commençant par réunir les spécialistes de sécurité urbaine, les experts en terrorisme, les architectes et urbanistes ainsi que les divers spécialistes de haute technologie. Le cas échéant, le partage d’expérience peut s’avérer utile, notamment lorsque des villes sont confrontées à des problèmes similaires où lorsqu’elles connaissent des conditions proches les unes des autres. Le comité chargé de la lutte anti-terroriste au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU a pour mission de faciliter ces échanges.
Arnaud Blin est un historien et politologue franco-américain spécialiste de l’histoire des conflits. Il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages, traduits en dix langues. Ancien directeur du Beaumarchais Center for International Research (Washington) et coordinateur pendant une dizaine d’années du Forum pour une Nouvelle Gouvernance Mondiale (Paris), il s’intéresse entre autres aux problèmes liés à la bonne gouvernance et la sécurité. A travers le Forum, il a piloté avec Gustavo Marin une quarantaine de projets sur la gouvernance mondiale. Dernier ouvrage paru: War and religion. Europe and the Mediterranean from the first through the 21st centuries (University of California Press, 2019).