Comment les villes municipalistes ont-elles réagi face à la pandémie ? Les réponses institutionnelles sont-elles plus efficaces que les réponses spontanées et solidaires portées par les organisations communautaires ? Comment les initiatives municipalistes assurent-elles la sécurité des habitant.e.s ?
Federico Alagna est chercheur et activiste municipaliste, actuellement basé en Italie. Ses recherches portent sur les politiques migratoires en Europe, et il est actif dans plusieurs mouvements et programmes axés sur le municipalisme et le droit à la ville en Italie – en particulier dans la ville sicilienne de Messine – ainsi que dans toute l’Europe. Il collabore avec Minim, un observatoire municipaliste qui rassemble des contributions de militants et de personnes de toute l’Europe et du reste du monde. Il est également membre associé du Nijmegen Centre for Border Research.
Il a récemment rédigé un rapport intitulé “In the city, at the border: movement and grassroots initiatives during the pandemic”. “Dans la ville, à la frontière: mouvements et initiatives de base pendant la pandémie”). Ce rapport explore les réponses proposées à la fois par les organisations municipalistes au pouvoir et les organisations non élues, et particulièrement les réponses concernant la question sensible de la situation des migrants.
L’équipe de Commonspolis a souhaité interviewer Federico Alagna, pour lui proposer de croiser son expérience de militant municipaliste avec sa perspective de chercheur spécialiste des migrations, pour nous partager une synthèse des propositions et des analyses des réponses municipalistes pendant le covid.
Un exercice loin d’être simple auquel Federico Alagna s’est gentiment prêté, pour nous ouvrir des pistes de réflexions et nourrir le débat nécessaire sur les actions que mènent les villes et les organisations aujourd’hui.
Pouvez-vous nous dire comment est née l’idée de ce rapport « Dans la ville, à la frontière : mouvement et initiatives de base pendant la pandémie » ?
Federico Alagna: Dans le cadre de ma collaboration avec Minim, j’ai été chargé de préparer un rapport sur le municipalisme et les conséquences de la pandémie de COVID-19 sur le municipalisme. Mon approche a pris en compte les composantes spécifiques de ces conséquences qui impliquaient des personnes travaillant avec ou actives dans des programmes et des mouvements de base, et la manière dont elles ont essayé de répondre d’une façon ou d’une autre à la crise actuelle – non seulement dans des cadres municipalistes, mais aussi dans des contextes plus larges liés aux politiques de migration, à la situation aux frontières, et à bien d’autres aspects que nous pourrons aborder plus tard.
Cette recherche n’est qu’une analyse préliminaire, de sorte qu’à l’heure actuelle, elle n’est peut-être pas aussi exhaustive qu’elle pourrait l’être. Cependant, en partant d’une compréhension très générale de la situation – de la pandémie, mais aussi de la manière dont la crise affecte l’activisme politique – l’idée était de présenter au moins deux grands niveaux de discussion. Le premier est le niveau national et international, où les grandes politiques sont élaborées et approuvées et où la plupart des débats ont lieu. C’est un niveau très important car c’est là que les décisions sont prises, mais en même temps il est intangible – il n’est pas vraiment accessible du point de vue de la vie quotidienne
« La sécurité est un sujet très important à aborder. Négliger de parler sécurité est l’une des plus grandes erreurs des mouvements de gauche et municipalistes, car cette négligence permet à la sécurité de tomber entre les mains des mouvements de droite. Le problème de la sécurité ne disparaît pas quand on choisit de ne pas en parler. Au contraire, il se déplace vers d’autres groupes dont la perspective sociétale est diamétralement opposée à la nôtre. »
Puis, il y a le niveau local, qui est le niveau des besoins quotidiens, de ce que vous faites pour gagner votre vie, pour sortir dans la rue. Je ne pense pas que ce soit une coïncidence si la plupart des réponses qui ont été apportées à cette crise ainsi qu’à d’autres crises ont lieu à ce niveau local. Les crises sont enracinées à ce niveau local, ne peuvent pas être sorties de leur contexte et sont très ancrées dans ce qui se passe dans la vie quotidienne. C’est pourquoi j’ai pensé qu’une approche qui mettrait spécifiquement en évidence les dimensions liées à la vie quotidienne pourrait révéler des schémas intéressants.
L’examen de la dimension de la ville était essentiel car la ville est une arène politique privilégiée dans le cadre du municipalisme. L’idée de combiner cette dimension avec une autre, celle des frontières, est née de ma propre expérience et expertise en matière de politiques migratoires, lorsque je me suis rendu compte qu’il existe de nombreux exemples dans le monde entier de la façon dont les frontières peuvent devenir un lieu où les luttes et les tentatives de résistance à certaines politiques ainsi que la promotion d’autres types de politiques sont rendues visibles. J’ai donc essayé d’examiner ces deux dimensions, distinctes mais liées, afin de découvrir ce qu’elles peuvent nous apprendre non seulement sur la manière dont certaines politiques sont mises en œuvre, mais aussi sur la manière dont les militants proposent et promeuvent des alternatives.
Comment concevez-vous la sécurité depuis l’approche municipaliste ?
Federico Alagna: La sécurité est un sujet très important à aborder. Négliger de parler sécurité est l’une des plus grandes erreurs des mouvements de gauche et municipalistes, car cette négligence permet à la sécurité de tomber entre les mains des mouvements de droite. Le problème de la sécurité ne disparaît pas quand on choisit de ne pas en parler. Au contraire, il se déplace vers d’autres groupes dont la perspective sociétale est diamétralement opposée à la nôtre. C’est une erreur, car le résultat final est une incapacité à traiter le problème. Imaginons, à titre d’expérience de réflexion, que nous nous présentions à une réunion typique d’un mouvement de gauche et que nous abordions le thème de la sécurité. La réponse probable serait un malaise, de ne pas vouloir traiter le sujet. Pourtant il s’agit d’un sujet important à aborder.
Du point de vue des municipalistes, j’ai souvent constaté une demande de sécurité accrue dans différentes villes, dans différentes parties du monde. Et le problème doit être vu comme quelque chose de complètement différent de la militarisation des rues, d’une présence policière accrue ou de la création d’un environnement de soupçon mutuel. Je le dis en raison de mon expérience directe dans la gouvernance d’une ville sicilienne. Les problèmes de sécurité peuvent certainement exister dans certains quartiers de certaines villes, mais une approche répressive et qui criminalise – ce que nous constatons dans les mouvements et les partis de droite, ainsi que de centre-gauche – est réductrice et simpliste, et ne résout pas réellement le problème. Elle peut apporter une satisfaction à court terme, mais à long terme, elle ne fait qu’alimenter l’insécurité.
Comment aborder cette question ? Une façon de répondre à l’insécurité est la création d’espaces de voisinage dont la communauté s’occupe collectivement. Par exemple, je me souviens du cas d’une place dans un quartier d’une ville en Sicile. Les gens ne se sentaient pas en sécurité dans cette place. La réponse s’est articulée autour de l’idée de redémarrer du point de vue des biens communs, de prendre soin d’un espace donné, de considérer cet espace comme une possession de la communauté dans son ensemble. C’est un processus de confiance mutuelle, de construction de relations entre les personnes qui vivent dans une communauté ainsi qu’entre ces personnes et les espaces physiques de leur communauté. Maintenant, je ne sais pas si cette approche est spécifiquement municipaliste, mais elle peut certainement être appliquée à un contexte municipaliste. Elle demande beaucoup de temps et d’énergie, mais elle s’attaque en fait au problème de la sécurité dans nos quartiers au lieu de prétendre que le problème n’existe pas.
Avez-vous observé des approches municipalistes de la sécurité dans le cadre du COVID-19 ?
Federico Alagna: Le municipalisme a apporté des réponses intéressantes et efficaces d’au moins deux façons différentes aux besoins des gens pendant la pandémie. Un aspect est lié à la politique même du municipalisme, qui recoupe fortement la politique du Care, avec l’action communautaire, avec l’idée de synergie entre les acteurs non institutionnels et institutionnels. Je pense que c’est exactement ce que nous avons vu dans de nombreux endroits en Europe et dans le monde. Les réponses communautaires qui ont largement dépassé les limites des cadres institutionnels applicables ont permis de faire face à la pandémie d’une manière très productive et efficace.
« Rien de cette pandémie, d’un point de vue négatif ou positif, n’est nouveau. Elle a juste rendu plus visible des problèmes structurels de longue date. Le fait que l’UE et les gouvernements nationaux tournent le dos à ce qui se passe en Méditerranée n’est pas nouveau. Le fait que des acteurs humanitaires, des acteurs politiques et des ONG travaillent en Méditerranée pour tenter de sauver des vies n’est pas nouveau. Mais tout au long de la pandémie, il a été très frappant de constater, en dépit de la situation extrême que connaît l’Europe, la prise de conscience de ce besoin et de cet effort. »
Le deuxième aspect est l’idée de penser à une échelle très locale, la perception qu’il y avait des situations qui ne pouvaient pas simplement être traitées par des décisions politiques générales, mais qui nécessitaient au contraire des réponses ancrées dans la communauté. Ces deux aspects se sont combinés pour fournir des outils intéressants aux acteurs municipalistes, mais aussi – et c’est peut-être le point le plus pertinent si nous essayons de voir cela dans une perspective plus large – aux acteurs non municipalistes, qui ont pu utiliser certaines des ressources normalement utilisées par les municipalistes, mais en dehors de leurs contextes traditionnels. Encore une fois, je dirais que ces réponses ont probablement adopté une perspective à plus long terme par rapport à d’autres réponses, comme le simple fait de donner un chèque aux personnes dans le besoin. Si ces réponses rapides peuvent être d’une importance cruciale, elles doivent également être accompagnées par d’autres réponses adaptées à des communautés spécifiques et conçues et gérées par les personnes mêmes qui vivent dans ces communautés, ce qui donne une approche beaucoup plus efficace et structurelle.
Quels sont les principaux défis et tensions concernant les réponses au COVID-19 ?
Federico Alagna: En termes de défis, je dirais qu’il y a différents degrés ou types de défis. Un défi, lorsque l’on aborde le municipalisme d’un point de vue italien et d’après ce que nous voyons dans les mouvements municipalistes en Italie, est celui de la multiplication des pratiques réussies à long terme.
D’après mes propres observations et discussions, et la lecture d’articles, d’études, de rapports, etc., je peux clairement voir qu’il existe des pratiques très intéressantes au niveau local. Je ne dis pas que nous devons reproduire ces pratiques partout, car je ne pense pas qu’il existe de règles universelles qui devraient être appliquées dans toutes les situations. Cependant, je pense qu’il existe des exemples de réussite qui pourraient être multipliés et considérés comme des meilleures pratiques.
Mais l’idée même de meilleures pratiques est un défi, car l’étude des meilleures pratiques ne vous mène pas loin, si vous ne tirez pas de leçons concrètes sur la manière dont leurs aspects fondamentaux peuvent être reproduits ailleurs si telle en est l’envie. Ces pratiques peuvent alors être intensifiées et élargies dans les villes, à de nombreux éléments des programmes municipalistes et particulièrement dans le cadre de la pandémie.
D’autres défis importants pour les efforts municipalistes durant la pandémie avaient principalement trait aux contradictions et aux lacunes de la relation avec les autorités locales. C’est un point qui est clairement apparu lors des initiatives municipalistes au Royaume-Uni, où il a été signalé que les approches de ces mouvements ont été si fructueuses que les institutions existantes ont fini par leur sous-traiter des réponses à la pandémie. Ce n’est pas une évolution positive, car il s’agit en fait de repenser les relations entre les institutions existantes et les mouvements municipalistes, et ne pas seulement réduire ces relations à une logique d’externalisation.
Un point commun à tous les défis est que la plupart d’entre eux ne sont pas propres à la pandémie. Je suis également un peu sceptique quant à la rhétorique concernant le caractère unique de la pandémie, car bien que la pandémie soit terrible en termes de vies humaines, elle a également posé de nombreux défis qui sont des éléments structurels de nos sociétés et les a rendus plus visibles et plus dramatiques. Ces défis ne disparaîtront pas après la pandémie. Ils sont simplement davantage visibles aujourd’hui, mais ils ont toujours existé, et si nous ne les abordons pas, ils continueront d’exister après la pandémie.
Dans votre rapport, vous expliquez que l’on retrouve des initiatives des villes partout dans le monde, et que ces initiatives de base fonctionnent comme des réseaux qui combinent les trois « R » : Résilience, Remaniement et Résistance. Pouvez-vous expliquer la signification de ces trois « R » et donner quelques exemples concrets de leur mise en œuvre ?
Federico Alagna: Je pense que le plus important de ces trois « R » est la résilience. Normalement, je n’aime pas parler de la résilience, car je pense que c’est un concept souvent galvaudé et mal employé dans nos débats. En ce moment, tout est question de résilience. Si vous ouvrez un journal, par exemple, le mot est partout. Cependant, lorsque vous combinez la résilience avec le remaniement et la résistance, je pense que l’approche qui en découle est beaucoup plus intéressante car la notion de résilience acquiert alors une plus grande spécificité.
La résilience est un concept ambiguë, car à un certain moment, elle peut devenir conservatrice, ce qui est contraire à la promotion du changement sociopolitique. Toutefois, si on la combine avec les notions de remaniement et de résistance et si on l’applique aux défis particuliers de certaines situations, on obtient une idée plus complète et plus profonde du type de réponse que nous recherchons. Cela nous donne la capacité de retravailler, de réorganiser et de repenser les outils, les objectifs, les besoins et les priorités de nos sociétés, de nos mouvements et des lieux et espaces politiques dans lesquels nous vivons. Cela nous donne également la capacité de ne pas seulement promouvoir le changement, mais aussi de réagir aux défis qui émergent au cours du processus de changement, en particulier les défis impliquant l’état d’exception sanitaire.
« Nous devons être capables de développer une idée du municipalisme qui peut non seulement résister mais aussi exister face à un manque d’institutions politiquement proches au niveau local. Sinon, nous courons le risque de n’être municipalistes que lorsque nous remportons des élections, ce qui est improductif. […] Tout cela signifie simplement que nous devons faire en sorte que l’approche municipaliste puisse également exister au-delà d’une élection ou du gouvernement actuel d’une ville. C’est l’une des perspectives les plus importantes que nous puissions avoir. »
L’état d’exception est l’une des plus grandes craintes que nous avons collectivement en tant que sociétés, en particulier en Europe, car il applique de nombreuses restrictions à la liberté qui peuvent être acceptées à un moment donné de la crise, mais dont nous ignorons l’impact à long terme. C’est une chose à laquelle nous devons résister de manière intelligente. Par exemple, sur le plan personnel, je n’ai pas le sentiment qu’il y ait une restriction de ma liberté si on me dit de rester chez moi pendant un certain temps, parce que c’est quelque chose que je peux supporter étant donné que je suis suffisamment privilégié pour avoir un foyer et un travail que je peux faire de chez moi. Mais nous devrions toujours être particulièrement conscients que les conséquences de certaines mesures à court terme sur notre propre vie peuvent être insignifiantes par rapport aux conséquences que ces mêmes mesures ont sur la vie d’autres personnes. Il s’agit d’une disparité structurelle, et nous devons donc résister aux approches simplistes de réponses aux crises et trouver plutôt des arguments politiques pour les contrer tout en reconnaissant et en explorant politiquement les complexités très réelles de la réponse aux crises.
En outre, nous devons reconnaître les mesures de contrôle social à long terme plus subtiles et plus problématiques qui peuvent émerger de l’état d’urgence, car elles ne peuvent être tolérées.
Pouvez-vous donner des exemples d’initiatives de terrain que vous trouvez particulièrement inspirantes, intéressantes ou qui méritent d’être davantage reconnues ?
Federico Alagna: Nous avons beaucoup parlé des villes, mais je pensais à quelque chose de plus lié à ce qui se passe aux frontières, qui sont aussi très importantes. Au cours des deux dernières années, les mers sont devenues une sorte de champ de bataille, avec d’un côté la société civile et de l’autre l’UE et les gouvernements nationaux. Les ONG et d’autres acteurs politiques et humanitaires essaient de sauver des vies en mer. Dans le cadre de cette lutte et de cette résistance de longue date des acteurs civiques et politiques, la pandémie a été particulièrement pernicieuse dans la mesure où elle a servi de prétexte à des contrôles et des fermetures de frontières beaucoup plus stricts. Par exemple, en avril 2020, l’Italie et Malte ont déclaré qu’elles ne pouvaient plus offrir de refuges parce qu’elles étaient confrontées à la pandémie. En fait, le monde entier était confronté à la pandémie. Les efforts des acteurs humanitaires pour retourner en mer, se réorganiser et même accroître leurs efforts en Méditerranée ont été une réponse directe qui a vraiment sauvé des vies, ce qui est, je pense, le vrai point.
Cela nous ramène à ce que j’ai mentionné précédemment : nous ne faisons face à rien de nouveau. Rien de cette pandémie, d’un point de vue négatif ou positif, n’est nouveau. Elle a juste rendu plus visible des problèmes structurels de longue date. Le fait que l’UE et les gouvernements nationaux tournent le dos à ce qui se passe en Méditerranée n’est pas nouveau. Le fait que des acteurs humanitaires, des acteurs politiques et des ONG travaillent en Méditerranée pour tenter de sauver des vies n’est pas nouveau. Mais tout au long de la pandémie, il a été très frappant de constater, en dépit de la situation extrême que connaît l’Europe, la prise de conscience de ce besoin et de cet effort.
« Tout au long de la pandémie, nous avons vu comment les réponses de solidarité et les réponses dites civiques ou sociales sont toujours extrêmement politiques. Il est important de le reconnaître afin que ceux qui se définissent comme des militants politiques puissent comprendre d’autres façons d’être politique. C’est également remarquable dans le contexte d’une ville où la relation entre le tissu social et le gouvernement de la ville n’est pas très bonne. Lorsque le gouvernement est proche en matière de vision politique, les choses ne sont pas nécessairement faciles, mais elles le sont certainement un peu plus. »
Je me souviens aussi d’avoir parlé avec des membres de l’équipage d’un navire qui effectue certaines de ces opérations pour des ONG. Un de ces navires était à quai dans ma ville pendant quelques mois pendant la pandémie. J’étais vraiment ému par le désir, le besoin qu’ils avaient de retourner en mer parce que des gens y mouraient. Même si la pandémie avait rendu la situation loin d’être idéale, des gens mouraient encore en mer, donc ces personnes se sentaient obligées de se mobiliser. Le moment où vous êtes capable de faire preuve de solidarité, même si vous vivez vous-même une situation très difficile dans votre propre contexte, est l’expression de quelque chose d’incroyablement émouvant.
Je pense qu’il est important de parler de ces choses parce qu’elles continuent pendant la pandémie en réponse à des problèmes structurels qui ne sont pas nécessairement des produits de la pandémie. Ces organisations, alors qu’elles essayaient de reprendre la mer, ont également déployé leur personnel médical pour sauver des vies dans les hôpitaux de toute l’Italie, ce dont nous devons nous souvenir, même si j’ai l’impression que les gens oublient très facilement ce genre de choses.
A partir de votre expérience, quels outils, réflexions ou bonnes pratiques pensez-vous qu’il serait utile de partager avec d’autres villes municipalistes, au niveau institutionnel et non institutionnel ?
Federico Alagna: Vu la façon dont je vois l’état actuel du municipalisme, qui est bien sûr fondé sur une perspective italienne, je pense que les expériences capables de suivre une voie parallèle aux institutions établies sont les plus intéressantes. Elles ne remettent peut-être pas en cause les institutions établies ou n’ont pas l’intérêt de le faire actuellement, mais elles maintiennent leurs initiatives dans une socialisation du politique. Ce sont des mouvements politiques avec une approche politique, mais qui pour l’instant ressentent le besoin d’apporter des réponses et des solutions aux personnes dans le besoin. Ce n’est pas seulement parce que les institutions établies ne le font pas, mais aussi parce que ces mouvements peuvent le faire d’une manière qualitativement différente comparée aux institutions établies. La perspective des institutions établies est donc fondamentalement ignorée au lieu d’être ouvertement contestée ou confrontée de manière polémique. Il n’y a pas non plus d’intérêt apparent à collaborer avec ces institutions. Les mouvements font quelque chose de différent.
Cela me rappelle une initiative que j’ai eu le privilège de connaître il y a plusieurs années : les cliniques de solidarité en Grèce. Bien qu’elles n’étaient pas enracinées dans une situation de pandémie, elles présentaient néanmoins quelques similitudes. Nous devons être capables de développer une idée du municipalisme qui peut non seulement résister mais aussi exister face à un manque d’institutions proches politiquement au niveau local. Sinon, nous courons le risque de n’être municipalistes que lorsque nous remportons des élections, ce qui est improductif. Par exemple, dans ma ville de Messine, nous avons eu une expérience municipale très intéressante, mais en ce moment nous nous trouvons dans une situation difficile parce que nous avons un gouvernement très anti-municipaliste. Nous nous efforçons et luttons néanmoins pour réaliser une sorte de politique municipaliste au niveau local, ce qui est difficile. Nous voyons aussi le côté sombre de certaines actions politiques trop autonomes, comme celles de l’actuel maire. Tout cela signifie simplement que nous devons faire en sorte que l’approche municipaliste puisse également exister au-delà d’une élection ou du gouvernement actuel d’une ville. C’est l’une des perspectives les plus importantes que nous puissions avoir.
« Je pense que, dans une perspective à long terme, ce qui est ressorti des premiers mois de la pandémie est que, d’une manière ou d’une autre, tous ceux qui ont participé au débat politique et à l’environnement politique ont finalement réalisé l’importance du niveau local. Jusqu’à récemment, surtout dans des pays comme l’Espagne et l’Italie, personne ne considérait le niveau local comme important en dehors des mouvements de gauche, progressistes et radicaux, mais aujourd’hui, les défis et l’importance du niveau local pour tous les acteurs deviennent chaque jour plus clairs. »
Un exemple que je couvre plus en détail dans le rapport est celui du Cuidados Madrid Centro (CMC), qui a rendu le tissu social et politique de la ville très intéressant. Le CMC est un réseau de soins dans le centre de Madrid. Il est organisé de façon autonome et spontanée, mais il ne s’agit pas d’une spontanéité naïve. Au contraire, il est très ancré et connecté aux mouvements sociaux et politiques de la ville. De mon point de vue d’étranger, c’est une initiative qui non seulement apporte des réponses directes à la ville et à ses citoyens lorsque ces réponses sont nécessaires, mais qui est également très politique, et je pense que c’est là le point clé.
Tout au long de la pandémie, nous avons vu comment les réponses de solidarité et les réponses dites civiques ou sociales sont toujours extrêmement politiques. Il est important de le reconnaître afin que ceux qui se définissent comme des militants politiques puissent comprendre d’autres façons d’être politique. C’est également remarquable dans le contexte d’une ville où la relation entre le tissu social et le gouvernement de la ville n’est pas très bonne. Lorsque le gouvernement est proche en matière de vision politique, les choses ne sont pas nécessairement faciles, mais elles le sont certainement un peu plus.
Avez-vous d’autres réflexions qu’il vous semble utile de partager avec d’autres villes ou organisations municipalistes ?
Federico Alagna: : Je pense que, dans une perspective à long terme, ce qui est ressorti des premiers mois de la pandémie est que, d’une manière ou d’une autre, tous ceux qui ont participé au débat politique et à l’environnement politique ont finalement réalisé l’importance du niveau local. Jusqu’à récemment, surtout dans des pays comme l’Espagne et l’Italie, personne ne considérait le niveau local comme important en dehors des mouvements de gauche, progressistes et radicaux, mais aujourd’hui, les défis et l’importance du niveau local pour tous les acteurs deviennent chaque jour plus clairs.
Là encore, il ne s’agit pas d’un produit exclusif de la pandémie. Au contraire, la pandémie n’a fait qu’accélérer un processus qui était déjà en cours dans certaines régions d’Europe. Le niveau local devient progressivement un lieu de confrontation pour différentes visions du monde et conceptions sociétales, et je pense que le débat politique s’est à bien des égards réduit au niveau local. Il est important de le reconnaître parce que la situation est plus difficile en ce moment, et nous pouvons déjà voir de nombreux politiciens et groupes de droite et d’extrême droite prétendre utiliser des outils qui découlent d’une conception de la ville et de la politique locale de type municipaliste. Nous devons être conscients de cette tendance, rester prudents et, surtout, nous tenir prêts.
Cette interview a été menée an anglais par Averill Roy, transcrite par Matthew Lehrer et traduite vers le français par Flore Garcia-Bour.
Pour aller plus loin :
- Lire le rapport In the city, at the border: movement and grassroots initiatives during the pandemic
- Découvrez Minim : https://minim-municipalism.org/
- Messina: Municipalism beyond the Municipio un article de Political Critique, Pologne
- PODCAST: ‘Radicals in Conversation’ Pandemic Solidarity par Pluto Press
- COVID-19 and Border Politics, une note politique produite par le Transnational Institute
- Retrouvez l’ensemble des publications de Federico Alagna : https://radboud.academia.edu/FedericoAlagna
- Contactez Federico Alagna : Twitter: @f_alagna – f.alagna@fm.ru.nl