Didier Fradin | La Belle Démocratie | Janvier 2018
Je ne m’étais jamais vraiment impliqué en politique, avant de vraiment réaliser l’état dans lequel nous allons laisser le monde à nos enfants… Je ne suis assurément pas un spécialiste des questions économiques ou politiques, mais c’est en tant que citoyen concerné et informé que j’exprime ici ma perception de la situation paraît vraiment préoccupante du monde que nous avons en commun.
Du coup je m’y suis mis et, d’expérience en expérience, j’ai vu très vite que les luttes de pouvoir sont inévitables, quasiment structurellement, dans les partis politiques traditionnels. La verticalité des prises de décision, souvent dénoncée, revient dès qu’on tourne le dos, la recherche systématique d’horizontalité et de démocratie directe étant chronophage et énergivore… Il était temps d’aller voir du côté des initiatives vraiment citoyennes, et je me suis embarqué dans l’expérimentation #MAVOIX, puis la Belle démocratie, j’ai croisé la route d’Edgar Morin, Patrick Viveret, Isabelle Attard, Charlotte Marchandise, et beaucoup d’autres acteurs du changement de voie en cours, et, n’étant expert spécialiste en rien, j’ai vite pensé que le travail de reliance de tous ces mouvements était ma voie.
Après l’appel d’Edgar Morin «Changeons de voie, changeons de vie», «nous sommes innombrables mais dispersés…», nous sommes nombreux à chercher à relier toutes les initiatives, associations, expérimentations, fondations, sans « fédérer » ou unifier, autour d’une idée qu’on aurait en commun.
Tout étant souvent histoire de point de vue, au-delà des idéologies qui cherchent souvent à dominer les autres croyances, il s’agit de trouver ce qu’on trouve à la convergence de tous ces points de vue différents, en gros, quel est le but commun qui anime tant de méthodes différentes? Ce point commun pourrait être le «Buen Vivir», dont j’ai découvert le sens avec Patrick Viveret et le collectif Utopia, un changement radical de valeur dans l’organisation de notre monde, axé pour le moment sur la compétition effrénée, la recherche sans fin du profit. Les promoteurs du Capitalisme essayent de nous vendre, depuis Adam Smith, l’idée que, contrairement à ce qu’affirmait JJ Rousseau qui voyait en l’homme une bonté initiale, celui-ci serait un loup pour ses semblables, et que la compétition est l’état naturel initial de l’être humain. C’est sur cette base purement subjective, largement étayée par une expérience menée dans un monde où la notion de partage est devenue «marginale», puisque seuls les plus malins, les plus entrepreneurs s’y voient récompensés, remplacée par la «charité», qui n’est, à bien regarder, que la caution sociale des plus nantis, qui leur permet d’être à l’aise avec l’injustice qui les enrichit. On peut donc imaginer, face à cette affirmation subjective, une alternative plus sociale, fondée sur une modification des droits de l’homme figurant dans les constitutions des institutions et des peuples, réinsérant une dose de « biens communs », gérés en partage par les citoyens eux-mêmes, entre les biens publics, gérés par l’institution, et les biens privés, en gestion individuelle.
Pour arriver à un tel résultat, démarche qui paraît encore aujourd’hui à beaucoup comme une douce utopie, il faut la participation de tout un peuple, certainement pas d’une seule portion de celui-ci. Et quel est le niveau territorial où une telle implication convergente est possible ? A l’évidence le local, là où les gens ont leurs préoccupations de tous les jours, là où ils peuvent le plus avoir l’impression d’agir sur leur quotidien. Il est nécessaire d’obtenir la participation du grand nombre, pour que la convergence soit significative. Il faut ce qu’en anglais on nomme l’ «empowerment» citoyen, la prise de conscience de chaque individu qu’il appartient à une communauté, et qu’il a un pouvoir, mais aussi une responsabilité dans les décisions qui engagent sa vie.
La Belle Démocratie s’est fixé cet objectif d’accompagner les groupes d’habitants qui le souhaitent dans la création de listes réellement «participatives» pour les municipales de 2020. Pour éviter l’amalgame entre participation et consultation, «confusion» couramment pratiquée par les institutions en place actuellement, il est proposé de constituer des assemblées locales dans le but de définir des objectifs communs, éventuellement celui d’aller aux élections, puis de monter une liste de candidats dont le rôle défini à l’avance sera, non de décider pour les habitants, mais d’animer le débat entre les citoyens, et de facilité l’émergence de consensus.
Dans ce contexte, avec Tristan Rechid, qui s’est donné comme mission de former des équipes de citoyens, d’élus, à l’animation de ce genre de démarche, nous avons rencontré des délégations des villes rebelles municipalistes espagnoles, et c’est à Barcelone, grâce aux amis de Commonspolis, que nous nous sommes un peu plus profondément immergés dans ce concept. L’idée que, un peu partout dans le monde, des villes, communes, cités, se mettent à revendiquer leur place à la table des décisions qui concernent leurs habitants, souvent en désobéissance aux lois de leurs états, s’est imposée aujourd’hui comme la solution de demain. Entrons donc dans le sujet.
De l’ordre du monde et de son organisation
Il est souvent difficile de savoir exactement dans quel monde nous vivons, et à quelle représentation de celui-ci nous pouvons réellement nous fier. Dans le film «Matrix», les humains, maintenus en sommeil artificiel, rêvent une vie virtuellement animée et plaisante, tandis qu’ils sont, dans la réalité, reliés, inertes, à une Matrice transférant leur l’énergie aux machines qui ont pris le pouvoir.Mais le concept en est déjà ancien, puisque Platon, vers 315 av JC, exposait dans ses dialogue sur «la République», son allégorie de la caverne :«Socrate demande à Glaucon de s’imaginer des hommes captifs dans une caverne, enchaînés dos à la sortie, et ne voyant du monde extérieur que les ombres d’objets ayant été placés derrière eux et que la lumière d’un feu projette sur la paroi qui leur fait face. Le philosophe est celui qui brise ses chaînes, tourne la tête pour regarder ce qui se cache derrière lui, puis sort de la caverne et s’expose effectivement au monde extérieur. Il est celui qui s’arrache aux images, accède au monde réel et affronte la lumière éblouissante du Soleil, comprenant par là même que l’intérieur de la caverne n’est qu’un reflet déformé du monde réel, le monde intelligible» (Wikipédia). Platon, ici, se lançait dans une critique acerbe de la République athénienne, insistant sur la dégénérescence de la Démocratie, qui mena à l’exécution du philosophe Socrate, coupable aux yeux des représentants de l’Etat d’athéisme affiché, et plus particulièrement d’en débattre avec tout le monde, résistant ainsi au discours officiel sur l’existence des dieux.
Il est ainsi fascinant de constater que, depuis probablement l’aube des temps, l’homme sait qu’il est asservi et conditionné, qu’il se soumet à des autorités de tutelle basée sur des récit des plus fantasques, religieux ou laïques, et que, quel que soit le régime auquel il se soumet, il semble pourtant désespérément préférer les ombres factices de sa prison à la lumière trop éblouissante du Soleil. Il devient ainsi facile d’imaginer que certains hommes, mus par quelque intérêt supérieur connu d’eux seuls, ou plus simplement par goût pour la domination, se relayent pour composer un récit, sans cesse renouvelé, qui servira leurs intérêts, et que le reste de l’humanité pourra accepter, pensant ainsi être mieux «dirigés». (Souvenons-nous ici de la phrase de JF Copé lors des primaires de la droite en Oct 2016 : «Notre pays se meurt de ne plus être commandé»). Une fois mise à jour la raison profonde de la «servitude volontaire», finalement si humaine, on en arrive à un constat assez surprenant: L’histoire ne serait pas, contrairement à ce qu’on nous enseigne, sujette à une constante évolution allant de l’obscurité vers la lumière, mais une boucle têtue dont la seule évolution serait le progrès dit « technologique », dont on sait, aujourd’hui, à quelle vitesse il nous emmène vers un chaos parfaitement prévisible. Démonstration : dans son livre VIII, Platon considère qu’il y a « cinq classes de gouvernements :
- l’aristocratie, qui est celle où les personnes les plus moralement recommandables moraux commandent
- la timocratie, qui est celle où le pouvoir est entre les mains des ambitieux
- l’oligarchie, qui est celle où l’état n’a qu’un petit nombre de chefs
- la démocratie, qui est celle où le peuple a toute autorité
- la tyrannie, qui est la dernière et la pire
Socrate prévoit que, choisie naturellement au départ, l’aristocratie finira par se corrompre, se dégrader, perdre de son unité. Alors les artisans (les producteurs d’objets façonnés, pas les agriculteurs) vont chercher à s’enrichir, ce qui va amener la création de la propriété privée. Ce mode de fonctionnement politique, qu’il appelle timocratie, diffère de l’aristocratie par le fait que le pouvoir ne sera plus donné aux sages, mais aux plus «débrouillards». Les citoyens seront incités à combattre, ils recherchent le profit. Cette constitution est «un mélange complet de bien et de mal». Le citoyen sera plus arrogant, brutal envers les esclaves et doux envers les hommes libres.
Ce régime devient oligarchique quand, du fait d’une recherche effrénée du profit, une petite partie de la population devient très riche alors que l’autre se paupérise radicalement. Du moment que les habitants de la cité décident que seuls les plus riches pourront participer aux affaires publiques, il y a oligarchie (du grec ancienολιγος, qui veut dire «peu»). Bien entendu, les riches établissent leur constitution par la force. Outre que les plus riches sont considérés à tort comme les plus habiles à gouverner, le principal défaut de cette cité est sa division interne : «une cité des riches, une cité des pauvres, habitant dans un même lieu et conspirant constamment les uns contre les autres». Le citoyen, quant à lui, se présente sous un jour respectable, mais il ne cherche au fond que la richesse.
Les pauvres remarquent bien vite que les riches ne le sont« que du fait de la lâcheté des pauvres ». Ils décident donc de les chasser ou de les dépouiller, et construisent un régime démocratique. Ce régime favorise la liberté et l’égalité, «le pouvoir de faire tout ce qu’on veut». Il n’y a aucune obligation : celui qui est habile pour gouverner ne le fait que s’il le veut, la guerre et la paix ne sont conclues que selon l’opinion des citoyens. Socrate parle même de criminels qui ne seraient pas poursuivis et se promèneraient en toute liberté dans la ville. N’importe qui peut faire n’importe quoi, il n’y a plus aucune spécialisation. Le citoyen s’occupe à satisfaire ses plaisirs non nécessaires, il se lance de temps en temps dans la politique quand l’envie lui en prend. Il est à l’image de la Cité: il fait ce qu’il lui plaît, ce qui l’amuse.
La liberté et l’égalité entraînent des troubles, les enfants ne respectent plus leurs parents. On assiste à une division de la cité en trois classes : les paresseux qui passent leurs temps à s’occuper des affaires publiques, ceux qui ont su tirer parti de la liberté de commercer et se sont enrichis, et les travailleurs qui ne s’occupent pas des affaires politiques. Ce dernier groupe est le plus nombreux. Au milieu de l’anarchie qui s’installe, le tyran va apparaître, se présentant tout d’abord comme un protecteur. Se sentant soutenu par la masse, et le pouvoir lui montant à la tête, il s’assure le soutien des classes moyennes en promettant de redistribuer les richesses en leur faveur. Aidé par le peuple, il lui demande des gardes du corps. «Il clame qu’il n’est pas un tyran, il se répand en promesses, aussi bien en privé qu’en public, il libère les gens de leurs dettes, et il redistribue la terre au peuple et à ceux de son entourage, et à tous il se montre agréable et plein de douceur.». Ensuite, il provoque des guerres, pour que les citoyens aient besoin d’un chef. Dans ces guerres, il s’arrange pour que ceux qui meurent soient ceux qui nourrissent le plus des idées de liberté. Ce n’est qu’ensuite qu’il sera reconnu comme tyran. Mais la peur de mourir et l’argent calment ceux qui pourraient le renverser.» (https://fr.wikipedia.org/wiki/La_République Livre VIII).
2300 ans après, on se rend bien compte que ce schéma, très bien décrit à l’époque, s’est reproduit en cycles depuis, et qu’aucune tentative de rupture n’a abouti à ce jour. Mais il est assez aisé de constater à quelle classe de gouvernement nous sommes rendus aujourd‘hui, et donc, vers quoi nous nous dirigeons, si nous ne réussissons pas à sortir de cette spirale. L’Histoire est décidément bien têtue.
Des Etats-Nations ?
C’est en France et en Angleterre, qu’au sortir des guerres civiles et religieuses du XVIème siècle, se forge la notion d’Etat-Nation, dans l’idée de séparer le temporel rationalisable du spirituel, et d’ainsi annihiler le pouvoir médiateur de l’Eglise dans les affaires publiques.
Déjà, dans notre pays, depuis le début du XIIIème siècle au cours du règne de Philippe Auguste, les rois de France s’emploient à unifier par l’épée un pays morcelé depuis la chute de l’empire romain, s’attaquant, notamment, aux Cathares d’Occitanie dans un premier temps (jusqu’à 1271 avec St Louis), puis aux Templiers qui possédaient l’argent dont manquait cruellement le trône de Philippe le Bel, qui avait trop joué avec le titrage en or de sa monnaie royale.
On n’hésitera pas, alors, à aller chercher la légitimité de ces luttes, visant à imposer pouvoir et monnaie centralisés, au sein de l’église, en faisant bénir par le pape lui-même ces «croisades» internes.
Puis au XVème siècle, en France, pour sortir de «l’immobilisme moyenâgeux», attribué au «protectionnisme acharné des villes et principautés», l’idée d’imposer un marché intérieur national s’imposera comme outil indispensable à la modernité techno-scientifique naissante en Occident. On voit bien là l’intention de renforcer un pouvoir « central », tirant sa puissance de sa légitimité réputée indiscutable d’une part, et du regroupement de sa force de frappe militaire autant que commerciale.
La touche finale de cette centralisation des pouvoirs sera apportée par Louis XIV, qui réduira considérablement l’influence de la noblesse de province en la ruinant dans les fastes de la cour de Versailles.
Dans cette nouvelle organisation de la société, s’est imposée une nouvelle souveraineté «post-féodale», reposant sur la création d’une «bourgeoisie éclairée de pouvoir», s’autorisant à «faire le bien de la société civile, parfois malgré elle». Bourgeoisie qui triomphera en 1789, puisque la Révolution française, par sa Constitution, rendra la propriété privée inaliénable, lui adjoignant la notion de bien Public, effaçant du coup celle des biens Communs, en même temps qu’elle évacuera toute aspiration du Peuple à la Démocratie réelle, en lui imposant des représentants, élus, mais pour la plupart «professionnels» de la politique.
On institua ainsi une nouvelle Aristocratie, avec des privilèges, forcément, et ce, malgré les intentions exprimées, soutenue et défendant les intérêts de la «bourgeoisie éclairée de pouvoir» citée plus haut.
On oppose, comme le décrivait Platon, deux classes de la population, des riches et des pauvres, le privé et l’état, les capitalistes et les prolétaires.
Avec la Vème République, en France, vue l’échelle des pouvoirs accordés au Président, on reparlera vite, dès de Gaulle, de monarques absolus. On a remplacé la tutelle de la religion par celle du profit, et, pire encore, on a introduit la notion de «l’attente raisonnable de l’investisseur», formule qu’on retrouvera noir sur blanc dans les traités transnationaux, comme le CETA ou le TAFTA, et qui est devenue, sans qu’on s’en rende vraiment compte, la valeur commune la plus acceptée de notre société moderne.
A partir de là, l’intégralité du système exige une volonté de centralisation, voire de « globalisation » des organes de régulation, afin de mieux contrôler l’efficacité de l’ensemble. C’est exactement ce à quoi l’on assiste en ce moment, une tendance infatigable à la globalisation des intérêts mercantiles transnationaux, et donc à la centralisation optimale des pouvoirs à chaque niveau, y compris bien sûr à l’intérieur même des états-nation, où l’on a de plus en plus de difficulté à dissocier exécutif législatif et judiciaire.
Au niveau territorial, on a bien assisté dans les années 80 à un effort de décentralisation, qui, quoiqu’en dise la révision constitutionnelle du 20/03/2003, (« l’organisation de la République est décentralisée »), est fortement mis à mal ces derniers temps, particulièrement depuis l’arrivée du nouveau gouvernement.
Des Etats Nations à la mondialisation des états
En fait, quelque chose a vraiment changé dans l’organisation du monde.
Et ce quelque chose est lié à la globalisation du Marché et à ses conséquences.Il s’agit de l’aboutissement du rêve de Milton Friedman, le triomphe de sa «Liberté de choix», bien décrite dans «Capitalisme et Liberté», c’est-à-dire la réduction la plus drastique du rôle de l’état dans l’économie de marché, comme seul moyen d’aboutir à la liberté économique et politique. Cet économiste a eu droit à un prix Nobel, après avoir inspiré assez directement les politiques de Reagan, Thatcher, Pinochet, entre autres.
C’est à lui que nous devons la passation de la création monétaire des banques centrales aux banques privées ; de lui aussi vient l’idée d’une croissance constante de la consommation, et donc croissance constante des prix, liée à l’augmentation constante de la masse monétaire, sur le postulat que les choix de consommation sont guidés non par les revenus actuels, mais par les anticipations que les consommateurs ont de leurs revenus.
Ce qui a changé, c’est que les prolétaires, (ceux, donc, qui ne possèdent rien, et n’ont que de quoi vivre du salaire qui leur est accordé), par le crédit, et parce qu’ils sont devenus acteurs de la consommation, ont soudain l’impression de posséder quelque chose, d’appartenir à cette «classe moyenne» des consommateurs.
Sécurité sociale, retraite, assurance chômage, placement d’épargne et éventuellement achat immobilier. Tout cela donne le sentiment d’un avoir quasi patrimonial, et dans un monde sensé promouvoir le productivisme et l’accomplissement individuel dans le travail, on cherche la rente, on joue au loto. Ainsi l’indicateur de bien-être de la population est devenu son «pouvoir d’achat», qui, s’il se maintient, est en fait le témoin que le système de Friedman se porte bien, la croissance sera au rendez-vous.
Et pourtant…
La réalité vient heurter la théorie, le capitalisme à la croissance infinie aux réalités d’un monde fini, les ardents défenseurs de la libre concurrence , dans leur réussite, se sont vite transformés en actifs de la concentration économique, et dans cette course aux profits faciles, à la dérégulation permanente, on a souvent l’impression d’une machine performante, mais emballée, sans personne à la barre, folle.
Une humanité se réveille, avec une grosse gueule de bois, les pires prédictions alarmistes de quelques auteurs du XXème se concrétisent, le changement climatique s’accélère sans qu’on fasse réellement quoique ce soit pour en limiter les dégâts. On voit apparaître des psychopathes à la tête des états les plus puissants du monde, les prétendues démocraties dans lesquelles nous vivons nous offrent des choix électoraux tellement ridicules qu’il est difficile de ne pas y voir un calcul, nous sommes les acteurs passifs du plus grand cirque de tous les temps !
Ce qui a changé, c’est que ce ne sont plus la religion ou une idéologie quelconque, ni même un tyran sanguinaire qui guident notre monde aujourd’hui, c’est le Marché, comme raison d’état, comme censeur pragmatique de toute politique rationnelle, et les états-nation, ayant perdu leur autonomie avec leur pouvoir régalien de création monétaire, sont ainsi liés à une politique systémique globale, assujettie aux lobbies d’intérêt des multinationales, dont le but est clairement de faciliter au maximum les échanges transnationaux, régis par des traités de commerce permettant de faire valoir l’intérêt de ces grands groupes face à des états de plus en plus faibles et endettés.
Face à la faillite des états, des initiatives municipalistes
Ce qui compte, au final, c’est que les états nations, dans leur ensemble, ont failli dans le rôle qui leur a été confié de gérer et protéger au mieux nos intérêts communs, et au premier plan de prendre soin de la planète que nous occupons et de la nature à laquelle nous appartenons.
Et s’ils ont failli, l’absence de mesures concrètes face au changement climatique, tant au niveau des COP successives que dans les programmes de nos élus, ont tendance à prouver qu’ils ne vont pas changer de voie.
Si Mr Trump a un effet positif, c’est bien celui de ne pas nous priver de son bavardage intempestif, et d’ainsi montrer en réel le fond d’une pensée qui, même si plus discrète, reflète assez bien le sentiment général de nos élites :«les affaires d’abord, on verra s’il reste quelque chose pour le climat, l’écologie, et tout l’bazar».
Face à cette démission, (devrait-on dire «folie»?) de nos «élites», des villes et des communes, un peu partout dans le monde, ont décidé de ne pas obéir aux décisions qu’elles trouvent dangereuses pour l’intégrité et le futur de leurs habitants.
Ici, ce seront une trentaine de villes américaines (Sanctuary Cities) (Washington D.C., New York, Los Angeles, Chicago, San Francisco, Santa Ana, San Diego, San Jose, Salt Lake City, El Paso, Houston, Détroit, Jersey City, Minneapolis, Miami, Denver, Baltimore, Seattle, Portland, New Haven, Somerville et Cambridge) qui s’opposeront à la politique migratoire des USA, particulièrement depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, en refusant que les fonds municipaux servent à faire appliquer les lois fédérales sur l’immigration. De plus, 61 maires US ont signé un accord dans lequel ils s’engagent à mettre tout en œuvre pour respecter les accords de Paris, malgré la décision fédérale de sortie de cet accord.
Là, ce sont des villes Syriennes du Nord du pays qui s’organisent sur la base du municipalisme libertaire de Murray Bochkin, dans la région du Rojava.Et puis en Espagne, des mairies gagnées en 2014 par des plateformes municipalistes, Madrid, Barcelone, Saragosse, Valence, Saint-Jacques-de-Compostelle, La Corogne. En juin 2017, à Cadix, un réseau municipaliste contre la dette illégitime et les coupes budgétaires, représentant 77 municipalités, a, à travers 13 municipalités et deux parlements autonomes du réseau, approuvé des motions pour la remunicipalisation face au gouvernement central.
Et puis Turin, l’Amérique du sud, l’Asie, l’Inde, consultez la carte et le site de «Fearless cities», grand workshop municipaliste qui a eu lieu en juin 2017 à Barcelone.
Vers une définition du municipalisme ?
Il est très difficile, alors que le mouvement du « nouveau municipalisme » est en plein essor, de définir précisément ce qu’il est, de mettre des frontières nettes.
Voilà ce qu’on trouve sur Wikipédia pour sa source, le municipalisme libertaire :« A la base, le municipalisme libertaire ou communalisme libertaire, désigne la mise en œuvre locale de l’écologie sociale élaborée par le théoricien communiste libertaire et écologiste politique américain > Murray Bookchin ((1921-2006).
Ces termes sont utilisés pour décrire un système politique dans lequel des institutions libertaires, composées d’assemblées de citoyens, dans un esprit de démocratie directe, remplaceraient l’ État-nation par une confédération de municipalités, de communes, libres et autogérées.
Le projet repose sur l’idée que la commune constitue une cellule de base capable d’initier une transformation sociale radicale par propagation.
L’écologie sociale est une théorie philosophique, sociale et politique sur l’écologie mise sur pied par Boochkin dans les années soixante. Elle montre les problèmes écologiques comme découlant principalement de problèmes sociaux, notamment des différentes formes de hiérarchies et de dominations, et cherche à les régler à travers le modèle d’une société adaptée au développement humain et à la biosphère. C’est une théorie d’ écologie politique radicale basée sur le communalisme qui s’oppose au système capitaliste actuel de production et de consommation. Elle vise la mise en place d’une société morale, décentralisée, solidaire, guidée par la raison.
A La Corogne, en Espagne (A Coruña), s’est tenu en octobre 2017 un sommet municipaliste le MAC3, pour Municipalismo, Autogoberno, e Contrapoder. (Municipalisme, auto gouvernement, et contrepouvoir), auquel participaient le mouvement Utopia, l’ IRG, (institut de recherche sur la gouvernance), et Commonspolis, et bien sûr des représentants des plateformes municipalistes espagnoles.La question, tant de fois évoquée, de définir le mouvement municipaliste s’est posée une fois de plus.
La réponse, complexe est néanmoins passionnante merci à Elizabeth Dau, Elena Ambül, Solenne Boiziau et Vladimir Ugarte pour leur compte-rendu dont je reproduis ici des passages:
- Les mouvements municipalistes se distinguent des partis politiques classiques par leur fonctionnement, mais aussi par leurs objectifs : pour certain·es, c’est la lutte sociale active qui fonde le sens du municipalisme. Ainsi, ces mouvements visent à l’amélioration du mode de vie des habitants et pas la performance politique. Le but est de générer des espaces de relation
- Ils ont aussi pour enjeu de maintenir l’horizontalité comme méthodologie de travail.C’est une autre conception du pouvoir, de sa pratique, et surtout un autre modèle de développement pour la ville, la démocratie, le rapport à l’autre.Il s’agit avant tout d’expérimenter d’autres hypothèses de société.
Le MAC3 a permis également de poser les constats de l’expérimentation espagnole :
- L’autonomie municipale est constamment menacée (coupes budgétaires, mesures d’austérité)
- La difficulté d’influer sur la fiscalité est un frein pour les compétences municipales indispensables au bien être des habitants ‘eau, scolarité, etc…)
- Isolé et centré sur lui-même, le municipalisme ne peut rien résoudre. La transversalité et l’intégration des échelles nationale et européenne dans la vision municipaliste sont fondamentales.
- « Gagner les imaginaires », pour « construire une opinion publique » nécessite d’écrire et de diffuser un récit positif, pratique et rassurant sur les marges de manœuvre bien réelles dont dispose le municipalisme pour gérer en commun, sur son efficacité.
- L’importance de créer un nouvel imaginaire politique de puis le local pose la question de la coordination et de la convergence entre les plateformes, ainsi que de leur échelle. Cela implique de dépasser le sectarisme de certains mouvements sociaux, sans pour autant réduire la pluralité et l’autonomie de ces plateformes municipalistes, considérées comme des valeurs-pilier.
- Tendre vers la confluence ne doit pas enfermer le municipalisme dans une réalité urbaine, et il est important de considérer sa vivacité et sa pertinence dans les zones plus rurales.
- L’expérience à mi-mandat des villes espagnoles montre également que le rapport aux institutions est complexe. Hors ou dans ?Avec ou contre ?Au final, le municipalisme espagnol à mi-mandat se conçoit comme étant à cheval entre un contrepouvoir en mutation et un laboratoire d’expérimentation.
Et maintenant, ici ?…
Se dégagent maintenant trois axes principaux :
- La création d’un réseau francophone, puis peut-être européen ?Le réseau se met en place, y participe le mouvement Utopia, l’IRG, la Belle Démocratie, des mouvements et associations autour des Communs, pour la France, des Belges, Suisses et des Canadiens (voir justement l’interview de l’expert québécois Jonathan Durand Folco, auteur de l’essai « À nous la ville », traité de municipalisme) sont intéressés pour constituer une plateforme outil de mise en commun des expérimentations et outils.L’idée est de constituer un espace de travail simple et contributif (yeswiki), d’y associer tous les groupes désireux de participer à cette construction commune, comme les mouvements des communs qui ont déjà des sources wiki impressionnantes sur les pratiques et les définitions, retours d’expériences, des responsables de la fonction territoriale, représentant l’institution, dont il serait bien bête de ne pas s’approcher.A signaler d’autre part qu’en novembre 2017 s’est tenu à Villarceaux un séminaire de l’Archipel Osons les jours heureux où une cinquantaine d’organisations étaient présentes, et au cours duquel une matinée entière était consacrée au municipalisme, pour lequel un intérêt presque général a été manifesté (le représentant d’Attac, par exemple, était assez réticent de prime abord). L’idée principale de cet archipel est de constituer, là aussi, des lieux de travail communs, des plateformes, un calendrier partagé, avec des actions dans lesquelles chaque mouvement, sans obligation, peut s’inscrire.
- L’écriture d’un récit simple et authentique, qui puisse servir de phare pour ceux qui se lancent Le travail est lancé entre les espagnols, Commonspolis, l’IRG…
- Un travail sur le terrain basé sur le long terme. A l’initiative de la Belle Démocratie et de Curieuses démocraties (collectif municipaliste de la vallée de la Drôme), une rencontre des listes participatives pour les élections de 2020 a vu une trentaine de listes s’initier, et la décision de se retrouver aux quatre coins du pays tous les trois mois à partir d’Avril a été prise. D’autre part, un rapprochement s’est fait avec la civictech Démocratie Ouverte, pour lancer des champs d’expérimentation, notamment sur l’écriture avec les habitants d’une constitution locale (que les espagnols ont appelée « charte éthique ») en quelque sorte un pacte entre les habitants et les futurs élus, éventuellement avec l’administration.
En conclusion, l’année 2018 devrait voir la pose des premières pierres de ce travail, sachant que parallèlement, localement, à Brest, Gand, Loos en Gohelle, Tremergat, celui-ci est déjà entamé depuis quelques années.
Le challenge consiste maintenant à créer l’image d’un mouvement « global », sans nuire à la spécificité de chaque groupe, et j’irais même jusqu’à dire qu’il serait beau de tirer avantage des différences d’options, de méthode propre à chaque région, mais convergent vers ce changement d’échelle de la décision, allant vers plus de subsidiarité, et pouvant, à terme, modifier l’organisation du Monde.