Devant l’absence de services publics à la hauteur, une poignée de jeunes nigériens ont décidé de se lancer dans un mapping citoyen en temps réel des villes, dans l’idée de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire et de participer à la protection des populations des menaces terroristes.
Arnaud Blin | Novembre 2019
Si le Niger peut s’enorgueillir d’être l’un des plus vastes pays du continent africain, c’est aujourd’hui aussi l’un des plus pauvres et, depuis quelques années, l’un des plus vulnérables d’Afrique. Dans la plupart des classements de pays, il figure régulièrement aux dernières places. C’est le cas notamment avec le plus connu des indices de développement, l’IDH. L’Indicateur de Développement Humain réalisé dans le cadre du Programme des Nations Unies pour le Développement est un indice composite qui prend en compte trois séries de données : Santé/longévité, niveau d’éducation et niveau de vie. Au classement IDH de 2017, dernier en date (qui prend désormais en compte les Etats mais aussi des territoires autonomes comme Jersey et Guernesey (N°1 du classement)), le Niger figure en dernière position, à la 228e place, derrière la République Centrafricaine et la Somalie. En 2012, le Niger était déjà tout en en bas du classement, derrière la RDC.
Le Niger est un Etat fragile, en proie à une grande pauvreté, dont le gouvernement et l’appareil d’Etat ne sont plus dans une position de générer un quelconque élan pour sortir le pays de l’ornière. Pays étendu et semi-désertique, aux marches de l’Afrique saharienne et sub-Saharienne, le Niger a vu son territoire investi par plusieurs organisations à caractère terroriste, y compris les trois plus dangereuses et puissantes de la période : Al-Qaeda, Daesh et Boko Haram.
La connaissance du territoire : un enjeu clé pour protéger les populations des menaces terroristes
Outre la menace directe à ses populations, la présence de ces organisations freine ou empêche les flux, y compris l’acheminement d’aide extérieure, et contribue à paralyser encore davantage le pays. En outre, le pays est confronté à d’autres menaces à la sécurité des populations locales, comme les épidémies, la sécheresse, les famines, les flux migratoires (les migrants qui traversent le pays vers le nord), les réfugiés, les incendies criminels, autant d’éléments déstabilisateurs qui réclament des actions humanitaires que seules les ONG peuvent fournir mais qui, au vu des difficultés logistiques et par la faute d’une connaissance parcellaire des territoires, se voient souvent contraintes de renoncer à intervenir.
Pour tenter de répondre aux problèmes de sécurité et notamment pour permettre aux ONG de travailler et de se déplacer dans le pays et, de manière générale, de faciliter l’action humanitaire (et l’aménagement du territoire), une communauté de jeunes de Niamey a décidé de s’attaquer à un problème de fond : la cartographie en temps réel des zones urbaines, à commencer par Niamey, la capitale. Comme dans d’autres domaines, le Niger accuse dans celui-ci un retard notoire par rapport au reste du monde.
Cartographier le territoire urbain avec des smartphones et en associant un maximum d’habitants
L’idée de cartographier les zones urbaines du pays prend corps en 2013 avec un premier projet, Mapping for Niger, vite formalisé en un programme permanent, OpenStreetMap Niger (OSM Niger) dont les coordinateurs sont des bénévoles. Dès lors, la petite équipe monte des activités de sensibilisation et de formation en cartographie et géomatiques libres et elle s’attèle à la tâche avec la cartographie effective de la zone V de Niamey et puis d’autres villes comme Dosso, Madoua, Dogondoutchi et la région de Diffa, située dans la zone investie par Boko Haram. Parallèlement, afin de renforcer et de pérenniser son action, OSM Niger va chercher des partenariats avec la Direction de la Francophonie Economique et Numérique, l’Association des Libres Géographes, le Projet Espace OSM Francophone ou encore l’UNICEF ou le CICR.
C’est avec le Comité International de la Croix Rouge (CICR) qu’OSM Niger travaille depuis deux ans sur la région de Diffa, pour laquelle les données cartographiques sont particulièrement compliquées à acquérir mais qui aideront le CICR à organiser son programme d’eau et d’assainissement dans la région1. Grace à une subvention de l’organisme Humanitarian OpenStreet Map Team (HOT), OSM Niger a pu se doter de matériels de cartographie (GPS, ordinateurs, smartphone) facilitant la collecte de données. Ainsi peut-elle désormais accroître les capacités de création de données à travers les Mapathons et organiser des activités de sensibilisation et de formation auprès des professionnels des secteurs publics et privés, des universitaires, de la société civile pour élargir la base de données. En sus, en mobilisant des cartographes OSM à l’action humanitaire, l’association a pu renforcer et mettre en place un dispositif de préparation et de réponse à des crises inopinées.
En augmentant les activités de formation/sensibilisation à la cartographie numérique, géomatique libre et open data et en organisant des séances de collecte de données au moyen de smartphones, l’association est en train de tisser sa toile et de répondre aux objectifs qu’elle s’était fixés dès 2013. S’il est encore trop tôt pour mesurer les effets concrets de cette initiative à moyen et long terme, on voit déjà qu’elle a intéressé divers organismes spécialisés dans l’action humanitaire et qu’elle a fait la démonstration qu’elle pouvait les aider à avoir un impact sur la vie des populations du Niger et sur leur sécurité.
On retiendra qu’avec des moyens au départ quasiment nuls, OSM Niger a pu, à partir d’un quartier et sans autres ressources que la volonté, l’intelligence et les compétences techniques de quelques jeunes, s’attaquer à la problématique de la sécurité pour se substituer, dans un domaine restreint mais vital, à un Etat défaillant.
1 Pour un rapport détaillé des problèmes de sécurité de la zone, voir l’évaluation semestrielle de l’UNHCR : https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/71056.pdf
Arnaud Blin est un historien et politologue franco-américain spécialiste de l’histoire des conflits. Il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages, traduits en dix langues. Ancien directeur du Beaumarchais Center for International Research (Washington) et coordinateur pendant une dizaine d’années du Forum pour une Nouvelle Gouvernance Mondiale (Paris), il s’intéresse entre autres aux problèmes liés à la bonne gouvernance et la sécurité. A travers le Forum, il a piloté avec Gustavo Marin une quarantaine de projets sur la gouvernance mondiale. Dernier ouvrage paru: War and religion. Europe and the Mediterranean from the first through the 21st centuries (University of California Press, 2019).