Pascual Moreno Torregrosa est titulaire d’un doctorat en ingénierie agronomique de l’université polytechnique de Valence (Espagne) et d’un doctorat en économie de l’université Paris I (Sorbonne). Il est membre fondateur de la Cátedra Tierra Ciudadana de l’Université polytechnique de Valencia – UPV. Il a écrit plusieurs ouvrages sur l’agriculture et le monde rural et collabore régulièrement à des revues spécialisées.
Ce qui était prévisible s’est produit cette année. La chaleur intense a provoqué l’embrasement d’une grande partie de l’Europe, du moins d’une partie très importante de ses forêts. En Espagne, les incendies ont toujours eu lieu en juin, juillet et août et se sont même prolongés en septembre. Ils étaient généralement localisés, dans telle ou telle région, dans telle ou telle montagne, ce qui permettait à nos « ineffables » politiciens de répéter, qu’ils en soient certains ou non, que derrière les feux de forêt se cachaient souvent des déséquilibrés ou des pyromanes intéressés à défricher des terrains qui, requalifiés, pouvaient être transformés en lotissements de résidences secondaires.
Je pense que c’est le grand Forges (ou peut-être Perich) qui a inventé la phrase : » Quand une montagne brûle, quelque chose à toi brûle… Monsieur le Comte « . Ceci était valable jusqu’à récemment. Aujourd’hui, cela n’est plus valable. Le grand pyromane de cet été, non seulement en Espagne mais aussi dans d’autres pays européens, a un nom précis : le changement climatique, dont le groupe de scientifiques prestigieux (GIEC) travaillant pour l’ONU prévient depuis quelque temps que ce qui nous arrive pourrait se produire.
Brûler plus de 100 000 hectares dans pratiquement toutes les provinces d’Espagne aurait nécessité une coordination, une organisation des incendiaires d’une telle ampleur qu’elle aurait mis les services de sécurité de l’État en grande difficulté. Ce ne sont pas des personnes présentant un certain déséquilibre, ce ne sont pas des agriculteurs qui, par erreur, en brûlant du chaume, ont fait sauter les flammes dans la forêt voisine, ni le « touriste du dimanche » qui tente imprudemment de faire rôtir de la viande à côté d’un talus par 40 degrés à l’ombre. Tout a été plus facile, et tout est plus compréhensible. Nous avons atteint la limite de ce que l’on pouvait attendre d’une augmentation de la température de la terre de 1,5º (en référence à la période préindustrielle) : La chaleur insupportable (pour les êtres humains et la nature), la sécheresse, l’accumulation de biomasse après un printemps pluvieux, prête à former un bûcher qui se propage à grande vitesse, ont fait que les services de lutte contre les incendies des administrations n’ont pas pu arrêter les feux et ont parfois, dépassés, abandonné aux flammes, impuissants, des forêts, des maisons, des routes, des enclos à bétail, voire des villages entiers.
Le GIEC, ou certains membres de ce groupe d’experts, ont indiqué avec une grande inquiétude que ce qui se passe cet été, ils l’avaient prévu pour l’année 2050. C’était pour eux la date probable de la catastrophe que nous subissons, de la chaleur qui nous étouffe et nous empêche de dormir, des décès par coup de chaleur ou de l’aggravation des maladies chroniques, si nous avions dépassé la limite de 1,5º que les différentes COP (Conférences des Nations Unies sur le changement climatique), tenues jusqu’à présent, avaient établie que les conséquences du changement climatique seraient beaucoup plus virulentes.
Les conséquences de cette augmentation excessive des températures estivales sont nombreuses. Concentrons-nous uniquement sur les répercussions sur l’agriculture et le système alimentaire. Selon des informations fiables émanant de l’UE elle-même ou de divers gouvernements européens, la récolte de céréales en Europe a été réduite de 30 à 50 %. Il n’est pas possible de déterminer exactement l’ampleur de la baisse des rendements en Afrique, en Asie ou en Amérique latine. Dans certaines régions d’Asie, par exemple, la production de riz a diminué en raison des inondations, comme au Bangladesh, où, outre la catastrophe agricole causée par la mousson (les pluies n’ont pas été aussi intenses depuis 20 ans), quatre millions de personnes ont dû être déplacées parce que leurs villages ont été inondés et leurs champs sont devenus un marécage.
Les experts du GIEC ont déjà prédit qu’avec l’intensification du changement climatique, les événements météorologiques extrêmes entraîneront des récoltes irrégulières. L’anomalie sera que les rendements seront aussi élevés qu’ils l’étaient plus ou moins avant l’intensification des phénomènes météorologiques.
Plus de famine, de besoins alimentaires accrus, davantage de troubles au sein de la population, émeutes et instabilité politique, … voilà ce qui nous attend. Inverser le changement climatique est déjà impossible. Le nier est stupide avec les images que la presse et la télévision nous montrent chaque jour Il ne reste plus qu’à essayer de le ralentir et surtout de s’y adapter avec des mesures qui préservent la vie des gens et peuvent maintenir des niveaux de production qui nous permettent d’atténuer la faim.
Et nous devons promouvoir la solidarité entre les nations, en particulier avec les plus défavorisées, nous coordonner pour nous adapter à la nouvelle situation, abandonner les aventures militaristes et faire comprendre qu’à très court terme, nous jouons avec la survie de l’humanité.